La Sainte Vierge disait à sainte Brigitte : Imprimez en votre coeur le riche
ornement de la passion très-amère de mon Fils, comme un saint Laurent, car ce
saint considérait incessamment en son esprit ce qui suit: Mon Dieu et mon
Seigneur , Jésus-Christ a été dépouillé et moqué:
comment serait-il donc décent que moi , qui suis serviteur, sois sans douleur ni
infliction ? Lors donc qu’il fut étendu sur les brasiers, que sa graisse fondue
coulait dans le feu , et que le feu embrasait et enflammait tout son coeur, il
tourna ses yeux vers le ciel , disant Béni soyez-vous, mon Dieu, mon Créateur
Jésus-Christ.
Je connais que je n’ai pas bien vécu les jours passés ; je vois
aussi que j’ai fait peu pour votre honneur et gloire : partant, puisque votre
miséricorde est très grande, je vous supplie de me traiter miséricordieusement ;
et son âme a été séparée du corps, disant ces paroles:
Voyez , ma fille , que celui qui a tant aimé mon Fils , qui a tant souffert pour
son honneur, dit qu’il est encore indigne d’obtenir le ciel : comment donc en
sont dignes ceux-là qui vivent selon les appétits de leur volonté ?
Partant, considérez incessamment la passion de mon Fils et de ses saints, car
ils n’ont pas tant pâti sans sujet, mais bien pour donner exemple de bien vivre
aux autres, et afin de montrer avec quelle sévérité mon Fils exigera le compte
des péchés, car il ne veut qu’aucun péché, pas même le plus petit, soit sans
amendement.
Après, le Fils, étant arrivé, parla à l'épouse, disant : Je vous ai dit tout ce
qu'il fallait en nos maisons. Entre autres choses, vous devez avoir trois sortes
d'habits : le premier, c'est un vêtement de lin, qui croît de la terre; le
deuxième de peaux, qui viennent des animaux ; Le troisième de soie, qui se fait
des vers.
Le vêtement de lin porte deux biens : 1 - il est mou et doux à la peau ; 2 - il
ne perd jamais sa couleur, mais plus il est lavé, plus il est blanc.
Le deuxième vêtement de peaux a aussi deux autres biens : il couvre les hontes
et tient chaud contre le froid.
Le troisième vêtement de soie a aussi deux utilités : 1 - il est grandement beau
et délicat; 2 - il est grandement cher. L'habillement de lin, qui est propre
pour couvrir un corps nu, marque la paix et la concorde. L'âme pieuse et dévote
doit avoir cette paix avec son Dieu, ne voulant que ce qu'il veut et en manière
qu'il le veut ; ne le fâchant point par ses péchés, d'autant qu'entre Dieu et
l'âme, il n'y a point de paix, si elle ne laisse le péché et retient sa
concupiscence. Elle doit aussi avoir la paix avec son prochain, ne lui nuisant
point, le secourant et le souffrant s'il a péché contre lui ; car qu'y a-t-il de
si malheureux que le péché ? L'âme qui désire de pécher n'est jamais remplie ni
contente du péché ;
elle le désire incessamment et elle n'a jamais de repos.
Qu’y a-t-il de plus amer et qui pique plus cruellement l'âme qui se courrouce
contre son prochain, et lui envie ses avancements et ses perfections ? De ce
fait l'âme doit avoir la paix avec Dieu et son prochain, car il n'y a pas de
plus grand repos au monde que cesser de pécher, et n'être sollicité ni
embrouillé dans le monde. Il n'y a aussi rien de si doux que le séjour du bien,
l'avancement de son prochain, et que de lui désirer ce qu'on désire pour
soi-même.
Ce vêtement aussi de lin, qui doit adhérer à la peau, signifie que, dans le cœur
où Dieu veut reposer, la paix, entre autres vertus, y doit être plus proche et
la plus signalée, car cette vertu introduit Dieu dans le coeur et l'y conserve
et retient. Cette paix et la patience sortent de la considération de son
infirmité, comme le lin vient de la terre, car l'homme, qui est de la terre doit
considérer son infirmité, en tant que soudain il est offensé, il se courrouce,
il se plaint dès l'instant, et dit qu'il est lésé.
S'il pensait comme il faut à soi, il n'aurait garde de faire à autrui ce qu'il ne peut supporter lui-même,
car son prochain est aussi infirme que lui ; comme il ne veut pâtir telles
peines, ni lui aussi. Lors la paix ne perd point sa couleur, c'est-à-dire, sa
stabilité, mais elle devient plus constante, car la considération de l'infirmité
de son prochain avec la sienne, fait que l'homme souffre patiemment les injures.
Or, si, par impatience, la paix est souillée et noircie quelque peu, elle est
d'autant plus blanche devant Dieu qu'elle est soudain lavée par la pénitence.
Elle est aussi d'autant plus gaie et plus forte à souffrir, qu'elle est plus
éprouvée et souvent lavée, parce qu'elle se réjouit de l'espérance des
récompenses que l'âme attend, à raison de la paix, et d'autant plus elle est sur
ses gardes qu'elle ne tombe par impatience.
Le deuxième vêtement, savoir, celui de peaux, marque les oeuvres de miséricorde
; et de fait, ces vêtements sont de peaux des animaux morts. Qui sont ces
animaux morts, sinon mes saints, qui sont fort simples ? L'âme doit être
couverte de leurs peaux, c'est-à-dire, elle doit imiter et faire les oeuvres de
miséricorde qu'ils font. Ces vêtements servent à deux choses, 1 - à couvrir la
nudité de l'âme pécheresse, et à la purifier des souillures, afin qu'elle
apparaisse pure devant moi ; 2 - ils défendent du froid : quel est le froid de
l'âme, sinon l'opiniâtreté au péché et l'endurcissement aux sentiments de mon
amour ? Les oeuvres de miséricorde chassent puissamment ce froid, attendu
qu'elles revêtent l'âme, afin qu'elle ne périsse de froid. Par elle Dieu visite
l'âme, et elle s'approche d'autant plus de Dieu.
Le troisième vêtement de soie, qui est fait de vers, qui coûte beaucoup à
l'acheteur, marque l'abstinence, car elle est belle devant Dieu, devant les
anges et les hommes. Elle coûte aussi beaucoup à celui qui l'achète, car hélas !
il est dur et difficile à l'homme de retenir et réfréner sa langue de trop
vainement parler. Il lui est amer de mortifier les concupiscences de la chair,
de se priver des superfluités et de quitter ses plaisirs ; il lui est aussi
difficile de rompre et contrevenir à ses volontés. Mais bien qu'il soit dur,
amer et difficile, il est néanmoins en toute manière utile et excellent de le
faire.
Partant, mon épouse, par laquelle j'entends tous les fidèles, amassons et
entassons en notre deuxième maison la paix avec Dieu et avec le prochain,
compatissant et aidant aux misérables par les oeuvres de miséricorde.
L’abstinence des concupiscences, comme elle est plus chère que les autres, est
aussi plus belle que toutes, attendu que, sans elle, les autres ne semblent
point avoir leur éclat et leur beauté.
Cette abstinence doit être prise des vers, c’est-à-dire, de la considération des
excès contre Dieu, de la considération de mon humilité et abstinence, moi qui ai
été semblable au vermisseau pour l’amour de l’homme, qu’il voie en son âme
comment et combien de fois il a péché contre moi, et en quelle manière il s’est
amendé, et il connaîtra clairement qu’il n’y a abstinence ni labeurs qui
puissent satisfaire à ses offenses. Qu’il considère mûrement mes peines, mes
labeurs et ceux de mes saints, pourquoi ils ont tant souffert, et il entendra
vraiment que, si j’ai exigé tant de rigueur de moi et de mes saints, qui
m’obéissaient parfaitement, sera grande la vengeance que je prendrai de ceux qui
ne m’obéissent point.
Donc, que l’âme qui est bonne embrasse courageusement et franchement
l’abstinence ; qu’elle se souvienne combien ses péchés sont malicieux, et qu’ils
rongent son âme de vers ; et de la sorte, de vermisseaux vils et abjects, elle
en fera une soie précieuse, de laquelle tous ses membres seront revêtus par
cette abstinence et considération, de laquelle Dieu et toute la milice céleste
se réjouissent, et pour l’amour de laquelle elle jouira de la gloire et de la
joie éternelles, et sans l’aide de laquelle elle aurait eu les pleurs éternels.
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