Saint Jean-Baptiste parlait à l’épouse de Jésus-Christ, disant : Notre-Seigneur
Jésus vous a appelée des ténèbres à la lumière, des immondices à la pureté, des
angoisses aux latitudes d’amour ? Qui
pourrait donc expliquer ou satisfaire aux obligations que vous lui avez de l’en
remercier. Véritablement, faites tout autant que vous pourrez.
Il y a un oiseau qui se nomme une pie, qui aime grandement ses petits, d’autant
que les œufs dont ses petits sont éclos, ont été en son ventre.
Cet oiseau fait son nid des choses vieilles et rompues, à raison de trois choses
:
1- pour le repos ;
2-pour se mettre à couvert de la pluie et des extrêmes chaleurs ;
3-pour y pour y nourrir ses poussins, qui ont été produits des œufs ; car cet
oiseau, pour l’amour qu’il porte à ses petits, couve les œufs et fomente les
poussins.
Or, quand ils sont nés et grandelets, la mère les allèche à voler en trois
manières :
1- par l’administration de la viande dont elle se nourrit ;
2- par la fréquente voix ;
3- par l’exemple de son vol.
Mais les poussins, qui aiment leur mère, accoutumés à la viande de leur mère,
s’élèvent peu à peu, suivant leur mère sur le nid ; puis après, selon que les
forces s’augmentent, ils vont plus avant, jusqu’à ce que l’usage et l’art les
aient rendus parfaits à voler.
Cet oiseau nous représente Dieu, qui est de toute éternité et ne change point,
et de lui dépendent toutes les âmes raisonnables, comme d’un ventre. A chaque
âme est préparé un nid des choses les
plus usées, d’autant que le corps terrestre est uni à l’âme, dans lequel Dieu
nourrit l’âme de la viande des bonnes affections, le défend des oreilles des
mauvaises pensées, et la met à repos et à couvert de la pluie des mauvaises
actions.
Or, chaque âme est jointe au corps, afin qu’elle le régisse et qu’elle ne soit
point régie de lui, qu’elle l’excite au labeur et qu’elle en ait soin
raisonnablement. Donc, Dieu, comme une bonne mère, enseigne l’âme à profiter et
à avancer dans les choses meilleures ; il l’enseigne à sortir de ce qui est
étroit, pour se dilater à ce qu’il faut faire et avoir horreur de ce qu’il faut
fuir.
Premièrement, pour la viande, lui donnant des lumières, raison et intelligence
selon la capacité d’un chacun, leur montrant ce qui est commandé et ce qui est
défendu, ce qu’il faut faire et ce qu’il faut fuir. Mais comme la mère enseigne
et élève ses poussins sur le nid, de même l’homme apprend, en premier lieu, à
considérer les choses célestes ; à penser aussi combien serré et vil est le nid
du corps, combien éclatantes et lumineuses sont les choses célestes, et combien
est plaisant et détestable ce qui est éternel.
Dieu aussi conduit l’âme par sa voix, quand il dit : Celui qui me suit aura la
vie ; celui qui m’aime ne mourra point. Cette voix conduit au ciel ; qui ne
l’oit, ou il est sourd ou ingrat à la dilection de la mère.
En troisième lieu, Dieu conduit et attire l’âme par le vol, c’est-à-dire, par
l’exemple de son humilité. L’humanité glorieuse de Jésus-Christ a eu comme deux
ailes :
1- d’autant qu’en elle était toute pureté ;
2- parce qu’elle a fait toute sorte de biens.
L’humanité de Jésus volait au monde avec ces deux ailes.
Que l’âme donc suive le vol de ces deux ailes autant qu’elle pourra. Que si elle
ne le peut par œuvre, pour le moins qu’elle le fasse par
amour et désir. Quand les poussins volent, ils se doivent donner de garde de
trois choses :
1- des animaux farouches, et qu’ils n’habitent après d’eux, car ils ne
pourraient résister à leur force;
2- des oiseaux de rapine, car les poussins
n’ont pas l’aile forte pour voler vite comme ceux-là : il sera donc plus assuré
pour eux de demeurer cachés ;
3- qu’ils ne désirent jamais la proie où est le lacet.
Ces animaux dont je viens de parler ne sont autres que les délectations et les
cupidités du monde. Que l’âme se donne de garde de celles-ci, car elles semblent
douces au sentiment, bonnes à la
possession et belles à la vue. Mais hélas ! Quand on les pense tenir, elles
s’enfuient vitement. Quand on y pense prendre plaisir, elles mordent sans
miséricorde.
En deuxième lieu, qu’elle se garde des oiseaux de rapine, qui ne sont autres que
la superbe et l’ambition, car elles désirent incessamment de monter de plus en
plus, de précéder les autres et de les avoir en haine.
Or, que l’âme, ce poussin, se donne bien de garde de ces deux vices, et qu’elle
désire insatiablement de demeurer dans les cachots d’une humilité inconnue et
profonde. Qu’elle ne soit orgueilleuse des
grâces que Dieu lui a données ; qu’elle ne méprise point ses inférieures, et
qu’elle ne pense être meilleure que ceux qui ont une moindre grâce qu’elle. En
troisième lieu, qu’elle se donne bien de
garde de la proie en laquelle le lacet est attaché. Cette proie qui déçoit n’est
autre chose que la joie du monde, car la joie semble bonne à la bouche,
délectable au corps, mais en ces choses-là mêmes,
les pointes mordantes du lacet y sont cachées. Certes, un ris immodéré apporte
une joie déréglée. La volupté du corps nous conduit à l’inconstance de l’âme,
dont s’ensuit la tristesse pressante, ou en la mort et devant elle , ou quand on
est en adversité.
Hâtez-vous donc, ma fille, de sortir souvent de votre nid par les désirs et les
soupirs des choses célestes. Donnez-vous de garde des oiseaux de rapine, oiseaux
d’ambitions, de cupidité et d’orgueil ;
donnez-vous de garde de la proie d’une joie vaine et pétulante.
Après, la sainte Mère de Dieu parla à cette épouse: Gardez-vous, dit-elle, de l’oiseau qui est
teint de poix, car tous ceux qui le touchent se souillent. Cet oiseau n’est
autre que l’amitié immodérée du monde, qui est inconstante comme l’air, sale et
vile en la poursuite des honneurs, et abominable en ses compagnies. Ne vous
souciez point des honneurs mondains ; ne considérez point les faveurs passagères
; ne regardez point si on vous loue ou si on vous blâme, car de tout cela
proviennent l’inconstante de l’esprit et le refroidissement de l’amour divin.
Soyez donc constante et ferme. Confiez-vous que Dieu, qui a commencé de vous
tirer du nid, vous repaîtra jusqu'à la mort. Après la mort, vous n’aurez point
faim. Il vous préservera des peines ; il vous défendra tant que vous vivrez, et
après la mort, vous ne craindrez rien.
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