La Vierge Marie parlait à son Fils, disant : Mon Fils, donnez à votre nouvelle
épouse cette faveur, que votre corps soit enraciné dans son cœur, afin qu’elle
soit changée en vous et soit remplie de
vos indicibles plaisirs. Ce saint, tant qu’il a vécu, a été constant en la foi comme une
montagne, laquelle l’adversité n’ébranle ni la
prospérité n’allèche ; il a été flexible comme l’air à condescendre à vos
volontés car il se portait où le poussait l’impétuosité de votre Esprit. Il fut
d’ailleurs ardent en charité, comme le feu
échauffant les froids et consumant les méchants. Or, maintenant, son âme est en
la gloire avec vous ; mais son vaisseau, le corps, qui a servi d’instrument aux
bonnes œuvres, n’est pas selon la décence
qu’il faut : il gît en un lieu trop vil.
Partant, O mon Fils ! Donnez à son corps un honneur plus grand et un bien plus
honorable, puisqu’il vous a honoré selon son pouvoir ; rehaussez-le, puisqu’il
vous a loué autant qu’il a pu.
Le Fils répondit à sa Mère la Sainte Vierge : Bénie soyez-vous, vous qui ne
laissez en arrière rien qui touche à vos amis ! Il n’est pas décent, ma Mère,
qu’une si bonne viande soit parmi les loups. Il
n’est pas raisonnable que celui qui est un saphir en pureté, conservant en son
entier ce qui est saint et rétablissant ce qui est infirme, gise maintenant
parmi la boue et la fange. Il est aussi convenable que cette lumière soit
illuminée pour illuminer les aveugles. Car de fait, cet homme, comme il a été
constant en la foi et fervent en l’amour, ainsi a-t-il été continent et conforme
à mes volontés. C’est pourquoi il m’a plu comme une viande très bonne, qui a été
cuite dans le feu de toute sorte de patience et de tribulation ; il m’est fils
doux et bon en volonté, et meilleur en l’effort des bonnes œuvres et à avancer
généreusement dans la sainte perfection, et très-bon et très-doux en sa louable
fin et consommation de sa vie.
Partant, il n’est pas à propos qu’une telle viande soit si hautement prisée et
exaltée devant les loups, la cupidité desquels ne peut être rassasiée, la
délectation et sensualité desquels fuient la vertu des herbes, et sont
sitibondes et faméliques après les charognes pourries, et desquels la voix
rusée, douce et emmiellée, nuit à tout le monde.
Il a été aussi comme un saphir enchâssé dans l’anneau par la fin et par l’éclat
de sa vie, par laquelle il s’est montre époux de son Église, ami de son
Seigneur, conservateur d’une foi sainte et
contempteur du monde. Partant, ma très chère Mère, il n’est pas décent que celui
qui avait tant d’amour au bien, soit touché des immondes, comme un époux du
monde, et que les amateurs du monde s’approchent de celui qui a tant aimé
l’humilité.
Il a été encore, en troisième lieu, comme une lumière mise sur le chandelier par
l’exécution et l’observance de mes commandements, et par la doctrine de sa bonne
vie ; par elle, il a affermi les autres, afin qu’ils ne tombassent ; par elle,
il a relevé ceux qui étaient tombés; par elle, il a excité la postérité à venir
à moi. Ceux qui sont aveugles en leurs amours ne peuvent dignement discerner
cette
lumière ; les chassieux de superbe ne les peuvent toucher de leurs mains
galeuses, car cette lumière est trop odieuse aux ambitieux, désireux et amateurs
de leurs volontés. Partant, avant que cette
lumière soit élevée, il est juste et raisonnable que ceux qui sont aveugles
soient éclairés.
Quand a cet homme, que les hommes de la terre appellent saint, il y a trois
choses qui ne le montrent point saint :
1- d’autant qu’avant sa mort, il n’imitait point la vie des saints ;
2- parce qu’il n’a pas eu une joyeuse volonté d’endurer le martyre pour l’amour
de moi ;
3- attendu qu’il n’a pas eu une charité fervente et bien ordonnée comme mes
saints l’ont eue.
Il y a aussi trois choses qui le font réputer saint du peuple :
1- le mensonge fallacieux et plaisant ;
2- la facile croyance des fous ;
3- la cupidité et la tiédeur des prélats et des examinateurs.
Or, si cet homme est en enfer ou non, il ne vous est pas encore licite de le
savoir, mais vous saurez
quand il sera temps d’en parler.
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