Ce chapitre est une prière que la Mère de Dieu fait à son Fils pour l’épouse sainte Brigitte et pour un autre saint. Comment la prière de la Mère de Dieu est acceptée par le Fils, et de la vraie ou fausse sainteté de l’homme pendant qu’il vit.
Chapitre 30

La Vierge Marie parlait à son Fils, disant : Mon Fils, donnez à votre nouvelle épouse cette faveur, que votre corps soit enraciné dans son cœur, afin qu’elle soit changée en vous et soit remplie de vos indicibles plaisirs. Ce saint, tant qu’il a vécu, a été constant en la foi comme une montagne, laquelle l’adversité n’ébranle ni la prospérité n’allèche ; il a été flexible comme l’air à condescendre à vos volontés car il se portait où le poussait l’impétuosité de votre Esprit. Il fut d’ailleurs ardent en charité, comme le feu échauffant les froids et consumant les méchants. Or, maintenant, son âme est en la gloire avec vous ; mais son vaisseau, le corps, qui a servi d’instrument aux bonnes œuvres, n’est pas selon la décence qu’il faut : il gît en un lieu trop vil. Partant, O mon Fils ! Donnez à son corps un honneur plus grand et un bien plus honorable, puisqu’il vous a honoré selon son pouvoir ; rehaussez-le, puisqu’il vous a loué autant qu’il a pu.

Le Fils répondit à sa Mère la Sainte Vierge : Bénie soyez-vous, vous qui ne laissez en arrière rien qui touche à vos amis ! Il n’est pas décent, ma Mère, qu’une si bonne viande soit parmi les loups. Il n’est pas raisonnable que celui qui est un saphir en pureté, conservant en son entier ce qui est saint et rétablissant ce qui est infirme, gise maintenant parmi la boue et la fange. Il est aussi convenable que cette lumière soit illuminée pour illuminer les aveugles. Car de fait, cet homme, comme il a été constant en la foi et fervent en l’amour, ainsi a-t-il été continent et conforme à mes volontés. C’est pourquoi il m’a plu comme une viande très bonne, qui a été cuite dans le feu de toute sorte de patience et de tribulation ; il m’est fils doux et bon en volonté, et meilleur en l’effort des bonnes œuvres et à avancer généreusement dans la sainte perfection, et très-bon et très-doux en sa louable fin et consommation de sa vie.

Partant, il n’est pas à propos qu’une telle viande soit si hautement prisée et exaltée devant les loups, la cupidité desquels ne peut être rassasiée, la délectation et sensualité desquels fuient la vertu des herbes, et sont sitibondes et faméliques après les charognes pourries, et desquels la voix rusée, douce et emmiellée, nuit à tout le monde.

Il a été aussi comme un saphir enchâssé dans l’anneau par la fin et par l’éclat de sa vie, par laquelle il s’est montre époux de son Église, ami de son Seigneur, conservateur d’une foi sainte et contempteur du monde. Partant, ma très chère Mère, il n’est pas décent que celui qui avait tant d’amour au bien, soit touché des immondes, comme un époux du monde, et que les amateurs du monde s’approchent de celui qui a tant aimé l’humilité.

Il a été encore, en troisième lieu, comme une lumière mise sur le chandelier par l’exécution et l’observance de mes commandements, et par la doctrine de sa bonne vie ; par elle, il a affermi les autres, afin qu’ils ne tombassent ; par elle, il a relevé ceux qui étaient tombés; par elle, il a excité la postérité à venir à moi. Ceux qui sont aveugles en leurs amours ne peuvent dignement discerner cette lumière ; les chassieux de superbe ne les peuvent toucher de leurs mains galeuses, car cette lumière est trop odieuse aux ambitieux, désireux et amateurs de leurs volontés. Partant, avant que cette lumière soit élevée, il est juste et raisonnable que ceux qui sont aveugles soient éclairés.

Quand a cet homme, que les hommes de la terre appellent saint, il y a trois choses qui ne le montrent point saint :
1- d’autant qu’avant sa mort, il n’imitait point la vie des saints ;
2- parce qu’il n’a pas eu une joyeuse volonté d’endurer le martyre pour l’amour de moi ;
3- attendu qu’il n’a pas eu une charité fervente et bien ordonnée comme mes saints l’ont eue.

Il y a aussi trois choses qui le font réputer saint du peuple :
1- le mensonge fallacieux et plaisant ;
2- la facile croyance des fous ;
3- la cupidité et la tiédeur des prélats et des examinateurs.
Or, si cet homme est en enfer ou non, il ne vous est pas encore licite de le savoir, mais vous saurez quand il sera temps d’en parler.