La Sainte Mère de Dieu, parlant à l'épouse de son Fils, sainte Brigitte, lui dit
: Vous pleurez en pensant que l'amour de Dieu envers les hommes est très grand,
et que l'amour des hommes et petit envers Dieu. Véritablement, cela est ainsi,
car quel est ce seigneur, ou évêque, qui ne désire plus avidement les charges
pour en obtenir l'honneur du monde ou les richesses, que pour en secourir de ses
propres mains les pauvres nécessiteux ? Et partant, puisque les seigneurs ni les
évêques ne veulent pas venir aux noces préparées à tous dans le ciel, les
pauvres et les infirmes y viendront, comme je vous le montrerai par un exemple.
Dans une cité, il y eut un évêque sage, beau et riche, qui, étant loué de sa
sagesse et de sa beauté, n'en rendait pas grâces comme il devait à Dieu, qui lui
avait donné la sagesse. Il était aussi loué et honoré à raison des ses
richesses, et partant, il donnait beaucoup pour acquérir les fumées des faveurs
mondaines. Il a aussi ardemment désiré beaucoup de richesses pour donner plus
largement et pour se faire honorer davantage.
Cet évêque avait en son évêché un clerc savant qui savait les pensées de son
évêque. Cet évêque, disait-il à part soi, aime moins Dieu qu'il ne faut. Sa vie
est tout employée et occupée au siècle. Partant, s'il plaisait à Dieu, je
désirerais son épiscopat pour en honorer Dieu. Je ne désire pas de vrai pour
l'honneur du monde, car il n'est que vent et fumée ; ni pour les richesses, car
je ne dois avoir qu'un raisonnable repos, en sorte que mon corps puisse
subsister au service de Dieu ; mais je le désire seulement pour Dieu et pour son
honneur ; et bien que je sois indigne de tout honneur, néanmoins, pour gagner
plusieurs âmes à Dieu, et pour profiter à plusieurs par parole et par exemple,
et pour sustenter plusieurs pauvres des biens de l'Eglise, je recevrais la
charge épiscopale, et j'entreprendrais de la porter ; car Dieu sait qu'une mort
dure et amère me serait plus agréable et un supplice plus doux à supporter que
la dignité épiscopale ; car bien que je sois sujet, comme les autres, aux
passions furieuses, néanmoins, celui qui désire l'épiscopat désire une bonne
œuvre. Partant, je désire franchement l'honneur d'un évêque avec la charge
épiscopale.
L'honneur, en vérité, je le désire pour le salut de plusieurs, et la
charge, pour l'honneur de Dieu et pour mon salut et le salut des âmes ; pour
cette fin seule, je le souhaite, afin que je puisse largement distribuer les
biens de l'Eglise aux pauvres, instruire les âmes plus librement, ramener plus
fidèlement les errants et les dévoyés, mortifier plus sévèrement ma chair, me
composer et me compasser plus soigneusement pour l'exemple et l'édification des
autres.
Or, ce chanoine admonesta son évêque prudemment et sagement de tout cela ; mais
l'évêque, portant aigrement ses paroles, confondit publiquement et imprudemment
ce chanoine, se vantant d'être modéré et suffisant à tout, et le disant. Or, le
chanoine pleura les excès de l'évêque, souffrant patiemment néanmoins les
injures qu'il lui avait faites ; mais l'évêque, se moquant de la charité et de
la patience du chanoine, médisait tellement de lui, qu'il en était réputé
insensé et menteur, et que l'évêque était réputé juste et circonspect.
Enfin, quelque temps s'étant écoulé, l'évêque et le chanoine décédèrent et
furent appelés au jugement de Dieu, en la présence duquel et des anges il
semblait qu'on eût placé une chaire dorée, et devant la chaire, une mitre
épiscopale et tout son ornement.
Une grande multitude de diables suivaient le chanoine, désirant ardemment de trouver en lui quelque péché mortel : car de
l'évêque, ils en étaient aussi certains que la baleine est assurée des petits
poissons qui sont dans son ventre, au milieu des orages de la mer. Or, plusieurs
plaintes et accusations étant proposées contre l'évêque, savoir : pourquoi et en
quelle intention il avait pris la dignité épiscopale ; pourquoi il s'était
enorgueilli du bien des âmes ; en quelle manière il avait régi et gouverné les
âmes qui lui avaient été confiées ; ce qu'il avait fait pour Dieu en
reconnaissance des faveurs dont il l'avait éminemment comblé.
Or, l'évêque n'ayant rien à répondre justement à ce qu'on lui demandait, le Juge
lui dit : Qu'on pose sur la tête de l'évêque de la boue au lieu de mitre ; dans
ses mains, de la poix au lieu de gants ; de la fange au pieds au lieu de
sandales ; pour chemise et pour lin épiscopal, le plus sale et le plus puant des
linges ; pour l'honneur, honte et confusion ; pour une famille plantureuse,
qu'il ait une cruelle troupe de démons.
Le Juge ajouta soudain : Qu'on mette sur la tête du chanoine une couronne
rayonnante comme un soleil ; qu'on donne à ses mains des gants dorés ; qu'on
chausse ses pieds, et qu'on l'habille avec tout l'honneur d'un vêtement
épiscopal.
Quand le chanoine fut revêtu de la sorte, il fut présenté au Juge de la milice
céleste, avec honneur, comme un évêque, et le misérable évêque descendit comme
un larron qui a la corde au cou ; et le Juge détournait de lui les yeux de sa
miséricorde ; et aucun des saints ne le voulait regarder.
Voyez comme quelques-uns, à raison de leur bonne volonté, obtiennent
spirituellement les dignités que méprisent ceux-là qui les ont de fait. Tout
ceci se faisait en Dieu en un moment ; mais pour votre considération, il a été
prononcé par paroles, car devant Dieu, mille ans sont comme une heure. Il est
aussi arrivé souvent que, quand les seigneurs et les évêques ne veulent faire la
charge et l'office auxquels ils sont appelés, Dieu choisit pour soi de pauvres
prêtres et des sonneurs de cloches, qui vivant en la meilleure conscience qu'ils
peuvent, profiteraient franchement aux âmes, s'ils pouvaient, à l'honneur et à
la gloire de Dieu ; et faisant ce qu'ils peuvent, ils possèdent les lieux
préparés pour les évêques, car Dieu fait comme celui qui mettrait une couronne
aux portes de sa maison et dirait à tous les passants : Quiconque, de quelque
état et de quelque condition que ce soit, s'il veut, peut mériter cette couronne
avec la grâce ; et celui qui sera noblement et éminemment enrichi des vertus,
l'obtiendra. néanmoins, sachez que si les évêques et les seigneurs sont sages
d'une charnelle sagesse, Dieu est plus sage qu'eux, qui exalte les humble et
n'approuve point les superbes.
Saches encore que ce chanoine qui est tellement
loué, n'eut pas lui-même soin du cheval, quand il allait prêcher, ni d'allumer
son feu au repas ; mais on le servait, et il avait ce qui lui était nécessaire
pour se sustenter raisonnablement ; il avait aussi de l'argent, mais non pour
assouvir ses désirs, car quand il aurait eu toutes les richesses du monde, il
n'eût pas donné un denier pour être évêque ; pour tout au monde il n'eût pas
laissé sons évêché, si cela eût été agréable à Dieu ; mais il avait toute sa
volonté à plaire à Dieu, prêt à être honoré, afin que Dieu fût honoré, et
disposé à être humilié et abaissé pour l'amour et la crainte de Dieu.
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