La Sainte Vierge Marie dit : Je suis celle qui ai été de toute éternité en
l'amour divin, et dès mon enfance, le Saint-Esprit était parfaitement avec moi.
Vous pourrez prendre un exemple de ceci, de la noix, laquelle croît quand le
zeste qui est au dehors croît ; le noyau qui est au dedans croît aussi, de sorte
que la noix en croissant est toujours pleine, ne donnant place à rien qui vienne
de l'extérieur.
De même, moi, dès mon enfance, j'ai été pleine du Saint-Esprit,
et il me remplit tellement à mesure que je croissais en corps et en âge avec
tant d'abondance, qu'il n'a rien laissé de vide en moi pour donner entrée ni
place au péché. Et partant, je suis celle qui n'a jamais commis un péché véniel
ni mortel, car de fait, j'ai été si ardente en l'amour de Dieu que rien ne m'a
plu, sinon la perfection de la volonté de Dieu, car le feu de l'amour divin
brûlait incessamment dans mon cœur.
Dieu aussi, qui est béni sur toutes choses,
qui m'a créée par sa puissance et m'a remplie de la vertu du Saint-Esprit, m'a
aimée ardemment. La ferveur de son amour fit qu'il m'envoya un messager, me
faisant entendre par lui ses volontés, savoir, que je fusse Mère de Dieu ; et
ayant connu que c'était la volonté divine, soudain le feu d'amour que j'avais
dans mon cœur me fit prononcer cette parole d'obéissance, par laquelle je
répondis au messager : Qu'il me soit fait selon votre parole ; et au même
instant, le Verbe fut fait chair en moi, et le Fils de Dieu a été fait mon Fils,
et de la sorte, nous avons tous deux un même Fils, qui est Dieu et homme, et moi
semblablement je suis Vierge Mère. Il est homme très sage et vrai Dieu,
Jésus-Christ, qui, demeurant en mon ventre, me donna alors tant de sagesse, que,
non seulement je puis entendre la sagesse de tous les docteurs, mais encore la
voir dans leur cœurs, Dieu me la manifestant, et pénétrer si leurs paroles
sortent de la divine charité, ou bien de l'artifice de leur science.
Partant, vous qui entendez mes paroles, dites à ce docteur que je l'interroge
sur trois choses :
1° s'il désire plus les faveurs et l'amitié de l'évêque corporellement, que de
présenter spirituellement son âme à Dieu ;
2° s'il prend plus de plaisir et de délectation en l'esprit de l'abondance des
richesses, que dans leur privation ;
3° laquelle de ces deux choses le contente le plus, ou d'être appelé docteur et
maître, et demeurer entre les plus honorés avec leur vanité mondaine, ou bien
d'être appelé simple frère et demeurer avec les derniers.
Qu'il sonde avec soin ces trois choses, car s'il aime son évêque plus
corporellement que spirituellement, il s'ensuit qu'il lui parle de ce en quoi il
se plaît : c'est pourquoi il ne lui défend pas les péchés dans lesquels il se
plonge. Que s'il se plaît plus en l'abondance des richesses qu'en leur
privation, il aime plus les richesses que la pauvreté, et conseille le même à
ses amis, leur disant qu'ils possèdent tout ce qu'ils pourront acquérir, que de
laisser, le pouvant faire librement ; que s'il se plaît au nom de maître pour
l'honneur du monde et pour avoir rang avec les honorables, alors il aime plus la
superbe que l'humilité, d'où vient que, devant Dieu, il est plus semblable aux
ânes qu'aux maîtres, car alors, il mâche la vile litière des bêtes, lui qui
acquiert la science sans le bon blé de la charité ; car l'amour divin ne
pourrait subsister en un cœur superbe.
Après qu'il eut fait ses excuses, il dit qu'il aimait plus présenter
spirituellement l'âme de l'évêque à Dieu, que l'aimer corporellement, et plus la
pauvreté que les richesses, et qu'il ne se souciait aucunement du nom de maître.
La sainte Mère de Dieu lui répliqua et lui dit : Je suis celle qui a ouï de la
bouche de Gabriel la vérité et cru sans douter d'où vient qu'il prit chair
humaine de mon cœur et demeura en moi. J'ai engendré la même Vérité, qui est de
soi Dieu et homme; et parce que la Vérité, qui est Fils de Dieu, a voulu venir à
moi, demeurer en moi et naître de moi, j'entends pleinement s'il y a vérité en
la bouche des hommes ou non ; mais je demande au maître trois choses.
Je dirais qu'il m'aurait très bien répondu, si la vérité était en ses paroles ;
mais parce qu'elle n'était point en elles, c'est pourquoi je l'avertis de trois
autres choses :
1° il y a quelque chose qu'il aime et qu'il désire corporellement, et il ne
l'obtiendra pas ; 2° cela même qu'il possède maintenant, il le perdra avec la
joie mondaine ;
3° les petits entreront dans le ciel, et les grands demeureront dehors, d'autant
que la porte est étroite.
|