Un démon apparut au jugement divin, qui tenait une âme d’un décédé toute
tremblante comme un cœur pantelant. Ce démon dit alors au Juge : Voici de la
proie. Ton ange et moi avons suivi cette âme depuis sa naissance jusques à la
fin de ses jours, mais lui pour la conserver, et moi pour la ruiner. Tous deux
nous la guettions comme des chasseurs ; mais néanmoins, elle est à la fin tombée
en mes mains, et pour gagner à moi, je me suis comporté avec toute sorte
d’impétuosité, comme un torrent quand la brèche est faite, à qui rien ne
résiste, sinon quelque digue, c’est-à-dire, votre justice, laquelle n’est pas
encore éprouvée contre cette âme ; c’est pourquoi je ne la possède pas encore
assurément. Je la désire aussi avec autant d’ardeur qu’un animal affamé, voire
si enragé de faim qu’il mande ses membres. Donc, d’autant que vous êtes juste
Juge, pourquoi est-elle plutôt tombée en mes mains qu’en celles de son ange?
Le Juge répondit : d’autant que ses péchés sont en plus grand nombre que ses
bonnes œuvres.
Puis le Juge demanda : Montrez lesquelles.
Le démon répondit : J’ai un livre tout plein de ses péchés.
Le Juge lui dit : Quel est le nom de ce livre?
Le démon répondit : Son nom est Désobéissance. En ce livre sont sept livres, et
chacun a trois colonnes, et chaque colonne a plus de mille paroles, mais non
moins de mille ; quelques-uns en ont plus.
Le Juge répondit : Dites les noms de ces livres, car bien que je sache toutes
choses, néanmoins, dites-les, afin que votre volonté et ma bonté soient connues.
Le démon répondit : Le nom du premier livre est la Superbe, et en icelui sont
trois colonnes :
la première est la superbe spirituelle en sa conscience, d’autant qu’il
s’enorgueillissait de la bonne vie, qu’il croyait avoir meilleure que les autres
; il s’enorgueillissait encore de son esprit et de sa conscience, qu’il estimait
plus sages que les autres
La deuxième colonne était d’autant qu’il s’enorgueillissait des biens qui lui
avaient été donnés, des vêtements et des autres choses.
La troisième était d’autant qu’il s’enorgueillissait de la beauté de ses
membres, de sa noble race et de ses œuvres. Et en ces trois colonnes, il y avait
des paroles infinies comme vous connaissez mieux.
Le deuxième livre était la Cupidité. Ce livre avait trois colonnes : la première
était spirituelle, d’autant qu’il a cru que ses péchés n’étaient pas si grands
qu’on le disait, et indignement a-t-il désiré le royaume céleste, qui ne se
donne qu’aux purs.
La deuxième, d’autant qu’il a plus désiré d’être au monde qu’il n’était
nécessaire, et que sa volonté ne tendait qu’à rendre recommandables son nom et
sa race, afin de nourrir ses héritiers, non à l’honneur de Dieu, mais à
l’honneur du monde.
La troisième fut qu’il désirait l’honneur du monde et d’exceller par-dessus les
autres, et en ces choses, comme vous connaissez, il y a des paroles innombrables
par lesquelles il recherchait les faveurs et bienveillances, par lesquelles il
acquérait des biens temporels.
Le troisième livre est l’Envie. Celui-ci a trois colonnes :
La première fut en l’esprit ; il enviait ceux qui excellaient sur lui et avaient
plus que lui.
La deuxième, d’autant qu’il a reçu par envie les biens de ceux qui en avaient
plus besoin que lui.
La troisième, que, par envie, il a nui secrètement au prochain par ses conseils,
tant par lui que par les siens, et aussi publiquement, tant par paroles que par
faits, tant par soi que par les siens, et a aussi incité les autres à des choses
semblables.
Le quatrième livre est l’Avarice, dans lequel il y avait trois colonnes :
La première était l’avarice dans son esprit, car il ne voulut jamais enseigner
ce qu’il savait, dont les autres eussent pu prendre quelque consolation ou
profit, pensant à ce qui suit : Quel profit m’en reviendra-t-il, si je donne tel
ou tel conseil ? Quelle récompense en aurai-je, si je lui profite, en lui
donnant conseil ? Et ainsi, celui qui lui demandait conseil, s’en retournait
grandement affligé, pouvant être instruit de lui et ne l’étant point, le pouvant
édifier et ne le faisant point.
La deuxième colonne est que, pouvant purifier ceux qui étaient en dissension, il
ne le voulait point faire, et pouvant consoler ceux qui étaient en trouble, il
n’en voulait rien faire.
La troisième colonne était l’avarice en ses biens, d’autant que, s’il lui
fallait donner un denier pour Dieu, il s’en affligeait grandement, et il en eût
donné cent pour l’honneur du monde. Or, en ces colonnes sont des paroles
infinies, comme vous le savez très-bien. Vous savez toutes choses, et rien ne
vous peut être cache ; mais vous me contraignez de parler par votre puissance,
afin que les autres profitent.
Le cinquième livre est la Paresse ; il a aussi trois colonnes :
La première : il était fainéant aux bonnes œuvres pour votre honneur et pour
accomplir vos préceptes, car pour avoir repos ne son corps, il a perdu son
temps. L’utilité et la volupté de son corps lui étaient très-chères.
La deuxième colonne : il était oisif en ses pensées, car quand vous lui inspirez
quelque pensée, la contrition ou quelque connaissance spirituelle, elles lui
semblaient trop longues, et il en retirait son esprit, et le portait aux joies
du monde, qui lui plaisaient beaucoup.
La troisième : il était lâche à parler, à prier pour son utilité et celle
d’autrui, et surtout pour votre honneur, et fervent à dire des paroles de
gausserie et cajolerie. Or, combien grand en est le nombre et la quantité, vous
seul le connaissez.
Le sixième livre était la Colère ; il avait trois colonnes :
La première : d’autant qu’il se colèrait contre son prochain des choses qui ne
lui étaient point utiles.
La deuxième : d’autant qu’il a laissé le prochain par sa colère en ses œuvres,
d’autres fois en aliénant le sien.
La troisième : d’autant que, par sa colère, il troublait son prochain.
Le septième livre était la Volupté ; il avait aussi trois colonnes :
La première : d’autant qu’il était impudique dans ses paroles et dans ses actes.
La deuxième : il était trop pétulant en ses paroles impures.
La troisième était qu’il nourrissait trop délicatement son corps, se préparant
des superfluités de mets délicats pour contenter sa sensualité et pour être
estimé grand. En cette colonne, il y a plus de mille paroles. Il demeurait à
table plus longtemps qu’il ne devait, ne considérant pas le temps qu’il y
restait, non pour cajoler ni pour recevoir plus que la nature ne requérait mais
bien pour prier ou travailler.
Voici, ô Juge, que mon livre est rempli. Adjugez-moi donc cette âme.
Or, le Juge ne disant mot, la Mère de miséricorde, qui semblait être fort loin,
s’approchant, dit : Mon fils, je veux disputer de la justice contre ce diable.
Le Fils répondit : Ma chère Mère, si la justice n’est pas déniée au diable,
pourquoi vous serait-elle déniée, à vous qui êtes ma Mère et la Reine des anges
? Vous pouvez aussi et savez toutes choses en moi, mais vous parlerez, afin que
les autres connaissent combien je vous aime.
Lors la Mère parlait au diable, disant : Je te commande de répondre à trois
choses que je te demande ; et bien que tu le fasses à regret, tu y es obligé par
la justice, d’autant que je suis ta maîtresse.
Dis-moi, ne sais-tu pas toutes les pensées des hommes?
Le diable dit : Non, sinon celles-là qui se manifestent par l’œuvre extérieure,
et ce que j’en puis conjecturer de sa disposition, celles que je suggère dans le
cœur, car bien que j’aie perdu ma dignité, néanmoins, par la subtilité de ma
nature, il m’est demeuré tant de sagesse que par la disposition de l’homme,
j’entre dans l’état de l’esprit, mais je ne puis pas connaître les bonnes
pensées des hommes.
La Sainte Vierge lui dit encore : dis-le-moi, ô diable, bien que contraint :
qu’est-ce qui peut effacer les écrits de ton livre?
Le diable répondit : Une seule chose, qui est la charité, car quiconque
l’obtient dans son cœur, soudain l’écriture de mon livre est effacée.
La Sainte Vierge lui dit pour la troisième fois : Dis-moi, ô diable ! quelqu’un
peut-il être si méchant et si corrompu qu’il ne puisse venir à résipiscence
pendant qu’il vit?
Le diable répondit : Il n’y en a pas un qui, s’il veut, ne le puisse avec la
grâce, car quand quelque pécheur que ce soit change sa mauvaise volonté en une
bonne, est atteint des feux de la charité divine et veut demeurer ferme en
icelle, tous les démons ne sauraient le retenir.
Ces choses étant ouïes, la Mère de miséricorde dit à ceux qui étaient à l’entour
d’elle : Cette âme, à la fin de sa vie, s’est convertie à moi et m’a dit : Vous
êtes Mère de miséricorde et faites miséricorde aux misérables. Je suis indigne
de prier votre Fils, d’autant que mes péchés sont trop grands et ne trop grande
quantité ; j’ai trop provoqué sa colère, aimant plus mes voluptés et le monde
que Dieu, mon Créateur : partant, je vous supplie d’avoir miséricorde de moi,
car vous ne la refusez à pas un qui vous la demande ; et partant, je me
convertis à vous, et je vous promets que, si je vis, je veux m’amender,
convertir ma volonté à votre Fils, et n’aimer autre chose que lui. Mais je suis
surtout marri de n’avoir rien fait pour l’amour de votre Fils, mon Créateur :
partant, je vous prie, ô très-clémente Dame, d’avoir compassion de moi, car je
n’ai mon refuge qu’en vous. Par telles pensées et paroles, cette âme vint à moi
à la fin de ses jours ; et ne la devais-je pas exaucer ? car qui est celui-là
qui, priant un autre de tout son cœur et avec résolution de s’amender, ne mérite
d’être exaucé ? Combien plus dois-je ouïr ceux qui crient à moi, qui suis Mère
de miséricorde!
Le diable répondit : Je n’ai rien su d’une telle volonté ; mais si cela est
comme vous dites, prouvez-le par des raisons évidentes.
La Mère répondit : Tu es indigne que je te parle. Néanmoins, parce que cela peut
servir au prochain, je te répondrai : O misérable, tu as dit ci-dessus qu’en ton
livre rien ne peut être effacé que par la divine charité.
Et lors la Sainte Vierge, s’étant tournée à lui, dit au Juge : O mon Fils, que
le diable ouvre donc maintenant son livre, qu’il le lise, et qu’il voie si
toutes choses sont là entièrement écrites, ou s’il y a quelque chose d’effacé.
Lors le Juge dit au diable : Où est ton livre?
Et le diable dit : En mon ventre et ma mémoire, dit le diable, car comme dans le
ventre sont toutes immondices et toute puanteur, de même en ma mémoire sont
toute malice et toute méchanceté, qui sont puantes devant moi comme une
corruption ; car quand je me suis retiré de vous et de votre lumière par la
superbe, lors j’ai trouvé en moi toute sorte de malice, et ma mémoire a été
obscurcie ès biens divins, et en cette mienne mémoire est écrite toute
l’iniquité des pécheurs.
Lors le Juge dit au diable : Je te commande de voir diligemment ce qui écrit
dans ton livre, ce qui est effacé des péchés de cette âme, et de le dire
publiquement.
Le diable répondit : Je vois dans mon livre être écrit des choses que je n’ai
jamais pensées, car je vois que ces sept choses sont effacées, et il ne demeure
rien de plus en mon livre que moquerie.
Après, le Juge dit au bon ange qui était là présent :Où sont les bonnes œuvres
de cette âme?
Elles sont en votre présence, dit le bon ange. Tout vous est connu. Nous voyons
toutes choses en vous, de sorte qu’il ne nous est pas nécessaire d’en parler.
Mais d’autant que vous voulez montrer votre charité, c’est pourquoi vous marquez
votre volonté à ceux qu’il vous plaît, pourquoi, depuis que cette âme fut jointe
à son corps, j’ai été toujours avec elle. J’ai écrit aussi un livre de ses biens
: si vous voulez ouïr ce livre, il est en votre puissance.
Le Juge répondit : Je ne puis juger sans les avoir ouï d’avance ; et ayant connu
les biens et les maux, lesquels étant bien considérés, la justice demande alors
qu’il soit jugé ou à la mort ou à la vie.
L’ange répondit:
Mon livre est son obéissance par laquelle il vous a obéi, et en icelle, il y a
sept colonnes :
La première est le baptême .
La deuxième est l’abstinence, au jeûne, des œuvres illicites, péchés, et aussi
des voluptés et des tentations de la chair.
La troisième est l’oraison et le bon propos qu’il a eu.
La quatrième est les bonnes œuvres en aumônes et autres œuvres de miséricorde.
La cinquième est l’espérance qu’il avait en vous.
La sixième est la foi qu’il a eue comme chrétien.
La septième est la divine charité.
Ces choses étant dites, le Juge lui dit encore : Où est votre livre?
En votre vision et amour, ô mon Seigneur ! dit l’ange.
Alors la Sainte Vierge, détrônant le diable : Comment, dit-elle, avez-vous gardé
votre livre ? Comment s’est effacé ce qui y était écrit?
Lors le diable dit : Malheur ! Malheur ! vous m’avez déçu!
Après, le Juge dit à sa très-bénigne Mère : Vous avez avec raison, obtenu en ce
fait absolution et avez avec justice gagné cette âme.
Le diable cria après : J’ai perdu ! je suis vaincu ! Mais dites-moi, ô Juge,
combien de temps tiendrai-je cette âme pour les moqueries et cajoleries qu’elle
a faites.
Le Juge lui dit : Je te le montrerai. Les livres sont ouverts et lus. Mais
dis-moi, ô diable ! bien que je sache toutes choses, si cette âme doit entrer au
ciel selon la justice, ou non. Je te permets de voir et savoir maintenant la
vérité de la justice.
Le diable dit : La justice est en toi. Que si quelqu’un décède sans péché
mortel, qu’il n’entre point en enfer, et quiconque a la divine charité de
justice, doit avoir le ciel. Cette âme donc, n’étant point morte en péché mortel
et ayant eu la divine charité, est prête à entrer dans le ciel, après qu’elle
aura été purifiée.
Le Juge répondit : Puisque donc je te permets de dire la vérité de ma justice,
dis, ceux-ci l’oyant, qu’est-ce qui me plaît et quelle doit être la justice de
cette âme.
Le diable répondit : Qu’elle soit purifiée en telle sorte qu’il n’y reste aucune
tâche, car bien qu’elle soit à vous, pourtant elle ne peut arriver à vous avant
qu’elle ne soit purifiée. Et d’autant que vous, ô Juge, m’avez demandé, je vous
demande maintenant, comment elle doit être purifiée et combien de temps elle
sera en mes mains.
Le Juge répondit : Je te demande que tu n’entres point en elle et que tu ne
l’absorbe pas en toi, mais tu la dois purifier jusqu’à ce qu’elle soit pure, et
qu’elle ait enduré la peine selon la grandeur de la faute, car elle a péché en
trois manières : trois en la vue, trois en l’ouïe, trois en l’attouchement, et
partant, elle doit être punie triplement en la vue :
1. Elle doit voir ses péchés et ses abominations ;
2. elle te doit voir en ta malice ;
3. elle doit voir les peines terribles des autres âmes ; et que semblablement
elle soit affligée en l’ouïe en trois manières :
1. Elle doit ouïr les malheurs horribles, d’autant qu’elle a voulu ouïr les
louanges propres et les délectations du monde ;
2. elle doit ouïr les cris épouvantables et les moqueries des démons,
3. les opprobres et les misères effroyables, d’autant qu’elle a écouté avec
plaisir plus les amours, les frayeurs du monde que celles de Dieu.
Elle est aussi affligée en trois manières en l’attouchement :
1. elle sera brûlée d’un feu très-ardent, tant au-dedans qu’au dehors, de sorte
qu’il n’y aura pas la moindre tâche qui ne soit purifiée dans le feu ;
2. elle pâtira une grande rigueur de froid, d’autant qu’elle brûlait en ses
cupidités et était glacée en ma charité ;
3. elle sera aux mains du diable, afin qu’il n’y ait pas la moindre pensée qui
ne soit purifiée, jusqu’à ce qu’elle soit comme l’or passé par la coupelle à la
volonté du possesseur.
Lors le diable demanda derechef combien de temps cette âme serait en cette
peine.
Le Juge répondit : Tout autant de temps que sa volonté était de vivre au monde ;
et d’autant qu’elle aurait voulu vivre en son corps jusques à la fin du monde,
elle est obligée d’endurer cette peine jusques à la fin du monde, car telle est
ma justice que quiconque a ma charité et me désire ardemment, souhaitant d’être
avec moi et d’être séparé du monde, celui-là mérite d’avoir le ciel sans peine,
d’autant que l’exercice de cette vie présente est sa purification. Or, celui qui
craint la mort pour la peine de la mort et pour la peine qui suit la mort, et
voudrait à raison de cela vivre plus longtemps afin de s’amender, celui-là
aurait une peine plus légère dans le purgatoire ; mais celui qui a volonté de
vivre jusques au jour du jugement , bien qu’il ne péchât mortellement, mais
seulement pour l’amour qu’il a à cette vie, celui-là doit souffrir les peines du
purgatoire jusques au jour du jugement.
Lors la Sainte Vierge Marie, pleine de miséricorde, dit : Béni soyez-vous, ô mon
Fils, pour votre justice, qui est en toute miséricorde ! car bien que nous
voyions et sachions toutes choses en vous, néanmoins, pour l’instruction des
autres, dites-nous quel remède on peut appliquer pour diminuer un si long temps
de peine, et quel pour éteindre un feu si ardent, et comment aussi cette âme
peut être affranchie des mains des diables.
Le Fils répondit : Rien ne peut vous être refusé, car vous êtes la Mère de
miséricorde, et vous cherchez et procurez la consolation à tous. Il y a trois
choses qui diminuent un si long temps de peine, qui éteignent ce feu et
délivrent des mains des démons : la première, si on rend par quelque peine ce
qu’il a pris injustement ou devait rendre aux autres justement, car ma justice
veut que cette âme soit purifiée, ou par les prières des saints, ou par aumônes,
bonnes œuvres des amis, ou par quelque purification digne pour cela. La deuxième
est par des aumônes très-grandes, car par elles, le péché est éteint comme le
feu par l’eau. La troisième est par les messes et sacrifices, et par les prières
des amis. Ce sont ces trois choses qui la délivreront de ces trois peines.
La Mère de miséricorde répondit derechef : Qu’est-ce que lui profitent
maintenant les bonnes œuvres qu’il a faites pour vous?
Le Fils répondit : Vous ne le demandez pas parce que vous l’ignorez, puisque
vous savez toutes choses et les voyez en moi, mais vous le demandez afin que mon
amour soit manifesté aux autres. Certainement, il n’y aura pas la moindre parole
ni la moindre pensée pour mon honneur, qu’elles n’aient leur récompense, car
toutes les choses qu’il a faites pour l’amour de moi, sont maintenant devant
lui, et en sa peine, elles lui servent de soulagement, et moindres sont les
rigueurs du feu qu’elles ne seraient.
Après, la Sainte Vierge dit à son Fils : Pourquoi est-ce que cette âme demeure
immobile, ne bougeant ni remuant contre ses ennemis, bien qu’elle soit vivante?
Le Juge répondit : Le prophète a écrit de moi que je fus comme un agneau muet
devant le tondeur : véritablement, je garde silence devant mes ennemis, et ma
justice veut que, comme cette âme se soucia peu de ma mort, elle soit maintenant
comme un enfant qui ne sait crier contre ses ennemis.
La Mère répondit : Béni soyez-vous, ô mon doux Fils, qui ne faites rien sans
justice ! Vous avez déjà dit que vos amis pourraient secourir cette âme, et vous
savez que cette âme m’a servie en trois manières :
1- par abstinence, jeûnant les vigiles de mes fêtes, et, et le faisant pour mon
nom ;
2- elle disait mes heures ;
3- elle chantait de sa propre bouche pour mon honneur. O mon Fils ! puisque vous
exaucez ceux qui vous prient en la terre, daignez exaucez aussi ma prière.
Le Fils répondit : Plus quelqu’un est ami de quelque seigneur, plus ses prières
sont exaucées et le plus tôt ; et d’autant que vous m’êtes la plus chère
par-dessus tous , demandez ce que vous voudrez, et il vous sera donné.
La Mère répondit : Cette âme souffre trois sortes de peines en la vue, trois en
l’ouïe et trois en l’attouchement : je vous supplie donc, ô mon Fils très-cher,
1- de lui vouloir diminuer une peine de la vue, savoir, qu’elle ne voie point
les diables horribles, mais qu’elle souffre les deux autres peines, puisque
votre justice l’exige de la sorte, et à laquelle je ne puis aller contre, selon
la justice de votre miséricorde.
2- Je vous supplie de lui diminuer une des peines de l’ouïe, savoir, qu’elle
n’entende l’opprobre et la confusion.
3- Je vous supplie de lui diminuer une des peines de l’attouchement, savoir,
qu’elle ne ressente pas un froid si rigide qu’elle mérite de ressentir, d’autant
qu’elle était froide en votre charité.
Le Fils répondit : Bénie soyez-vous, ma Mère très-chère ! Rien ne peut vous être
refusé. Que votre volonté soit faite.
La Mère répondit : Béni soyez-vous, ô, mon très-cher Fils, pour l’amour et la
miséricorde que vous portez aux âmes!
Puis, on vit soudain un des saints avec une grande milice, qui disait : Louange
vous soit, Seigneur Dieu, Créateur et Juge de tous ! Cette âme dévote m’a servi en sa vie ;
elle a jeûné pour mon honneur ; elle m’a loué, moi et tous les amis qui vous
environnent. Partant, de leur part et de la mienne, je vous en supplie,
Seigneur, faites-lui miséricorde pour l’amour de nos prières. Donnez-lui le
repos en une des peines, savoir, que les démons n’aient point puissance
d’obscurcir sa conscience, car leur malice obscurcit tellement son âme, s’ils
n’en sont empêchés, qu’elle n’attendrait point la fin de sa misère ni
l’acquisition de la gloire, si ce n’est que vous jetiez les yeux de votre grâce
sur lui, et cela lui sera le plus grand supplice des supplices. Donnez-lui, ô
Seigneur plein de miséricorde, en considération de nos prières, la grâce de
savoir certainement que sa peine finira, et qu’il possédera un jour la gloire
éternelle.
Le Juge répondit : Ma justice veut que les démons obscurcissent son âme,
d’autant que, quand elle vivait, elle retirait son esprit et sa pensée de la
contemplation spirituelle, les tournait aux choses corporelles, et ne se
souciait d’être sans connaissance et d’agir contre moi. Mais d’autant que vous,
ô mes amis ! avez ouï et reçu mes paroles et mes inspirations, et les avez
accomplies par œuvres, il n’est pas raisonnable que je refuse et rejette vos
demandes, mais je ferai ce que vous demanderez.
Or, lors tous les saints répondirent : Béni soyez-vous, ô Dieu, en votre
justice, qui jugez justement, qui ne laissez rien d’impuni!
Après, l’ange gardien dit au Juge : J’ai accompagné cette âme des que l’âme fut
unie à ce corps, et le suivais comme votre providence charitable l’avait
ordonné, et elle faisait quelquefois ma volonté. Partant, je vous en prie
maintenant, ô mon Seigneur, ayez miséricorde d’elle.
Lors Notre-Seigneur dit : Nous voulons délibérer sur ce sujet.
Et Lors la vision disparut.
|