L’épouse voyait que le démon présentait au jugement divin sept livres contre l’âme d’un soldat décédé ; mais le bon ange présenta pour lui un livre où l’âme n’était point damnée éternellement, d’autant que, le diable l’ignorant, elle s’était repentie intimement à la fin de ses jours. Elle est néanmoins condamnée, dans le purgatoire, à sept peines, à raison de ses péchés, jusques au jour du jugement, car elle avait autant désiré de vivre. Mais Jésus-Christ révèle trois remèdes par lesquels elle pourrait être affranchie plus tôt ; et de fait, soudain trois peines lui ont été remises par les prières de la Sainte Vierge et des saints. La supplication du bon ange ne fut pas soudain exaucée, mais différant à quelque temps, Jésus-Christ la met en délibération.
Chapitre 39

Un démon apparut au jugement divin, qui tenait une âme d’un décédé toute tremblante comme un cœur pantelant. Ce démon dit alors au Juge : Voici de la proie. Ton ange et moi avons suivi cette âme depuis sa naissance jusques à la fin de ses jours, mais lui pour la conserver, et moi pour la ruiner. Tous deux nous la guettions comme des chasseurs ; mais néanmoins, elle est à la fin tombée en mes mains, et pour gagner à moi, je me suis comporté avec toute sorte d’impétuosité, comme un torrent quand la brèche est faite, à qui rien ne résiste, sinon quelque digue, c’est-à-dire, votre justice, laquelle n’est pas encore éprouvée contre cette âme ; c’est pourquoi je ne la possède pas encore assurément. Je la désire aussi avec autant d’ardeur qu’un animal affamé, voire si enragé de faim qu’il mande ses membres. Donc, d’autant que vous êtes juste Juge, pourquoi est-elle plutôt tombée en mes mains qu’en celles de son ange?

Le Juge répondit : d’autant que ses péchés sont en plus grand nombre que ses bonnes œuvres. Puis le Juge demanda : Montrez lesquelles.
Le démon répondit : J’ai un livre tout plein de ses péchés.
Le Juge lui dit : Quel est le nom de ce livre?

Le démon répondit : Son nom est Désobéissance. En ce livre sont sept livres, et chacun a trois colonnes, et chaque colonne a plus de mille paroles, mais non moins de mille ; quelques-uns en ont plus.
Le Juge répondit : Dites les noms de ces livres, car bien que je sache toutes choses, néanmoins, dites-les, afin que votre volonté et ma bonté soient connues.

Le démon répondit : Le nom du premier livre est la Superbe, et en icelui sont trois colonnes : la première est la superbe spirituelle en sa conscience, d’autant qu’il s’enorgueillissait de la bonne vie, qu’il croyait avoir meilleure que les autres ; il s’enorgueillissait encore de son esprit et de sa conscience, qu’il estimait plus sages que les autres La deuxième colonne était d’autant qu’il s’enorgueillissait des biens qui lui avaient été donnés, des vêtements et des autres choses. La troisième était d’autant qu’il s’enorgueillissait de la beauté de ses membres, de sa noble race et de ses œuvres. Et en ces trois colonnes, il y avait des paroles infinies comme vous connaissez mieux.

Le deuxième livre était la Cupidité. Ce livre avait trois colonnes : la première était spirituelle, d’autant qu’il a cru que ses péchés n’étaient pas si grands qu’on le disait, et indignement a-t-il désiré le royaume céleste, qui ne se donne qu’aux purs. La deuxième, d’autant qu’il a plus désiré d’être au monde qu’il n’était nécessaire, et que sa volonté ne tendait qu’à rendre recommandables son nom et sa race, afin de nourrir ses héritiers, non à l’honneur de Dieu, mais à l’honneur du monde.
La troisième fut qu’il désirait l’honneur du monde et d’exceller par-dessus les autres, et en ces choses, comme vous connaissez, il y a des paroles innombrables par lesquelles il recherchait les faveurs et bienveillances, par lesquelles il acquérait des biens temporels.

Le troisième livre est l’Envie. Celui-ci a trois colonnes : La première fut en l’esprit ; il enviait ceux qui excellaient sur lui et avaient plus que lui. La deuxième, d’autant qu’il a reçu par envie les biens de ceux qui en avaient plus besoin que lui. La troisième, que, par envie, il a nui secrètement au prochain par ses conseils, tant par lui que par les siens, et aussi publiquement, tant par paroles que par faits, tant par soi que par les siens, et a aussi incité les autres à des choses semblables.

Le quatrième livre est l’Avarice, dans lequel il y avait trois colonnes : La première était l’avarice dans son esprit, car il ne voulut jamais enseigner ce qu’il savait, dont les autres eussent pu prendre quelque consolation ou profit, pensant à ce qui suit : Quel profit m’en reviendra-t-il, si je donne tel ou tel conseil ? Quelle récompense en aurai-je, si je lui profite, en lui donnant conseil ? Et ainsi, celui qui lui demandait conseil, s’en retournait grandement affligé, pouvant être instruit de lui et ne l’étant point, le pouvant édifier et ne le faisant point.

La deuxième colonne est que, pouvant purifier ceux qui étaient en dissension, il ne le voulait point faire, et pouvant consoler ceux qui étaient en trouble, il n’en voulait rien faire. La troisième colonne était l’avarice en ses biens, d’autant que, s’il lui fallait donner un denier pour Dieu, il s’en affligeait grandement, et il en eût donné cent pour l’honneur du monde. Or, en ces colonnes sont des paroles infinies, comme vous le savez très-bien. Vous savez toutes choses, et rien ne vous peut être cache ; mais vous me contraignez de parler par votre puissance, afin que les autres profitent.

Le cinquième livre est la Paresse ; il a aussi trois colonnes : La première : il était fainéant aux bonnes œuvres pour votre honneur et pour accomplir vos préceptes, car pour avoir repos ne son corps, il a perdu son temps. L’utilité et la volupté de son corps lui étaient très-chères. La deuxième colonne : il était oisif en ses pensées, car quand vous lui inspirez quelque pensée, la contrition ou quelque connaissance spirituelle, elles lui semblaient trop longues, et il en retirait son esprit, et le portait aux joies du monde, qui lui plaisaient beaucoup. La troisième : il était lâche à parler, à prier pour son utilité et celle d’autrui, et surtout pour votre honneur, et fervent à dire des paroles de gausserie et cajolerie. Or, combien grand en est le nombre et la quantité, vous seul le connaissez.

Le sixième livre était la Colère ; il avait trois colonnes : La première : d’autant qu’il se colèrait contre son prochain des choses qui ne lui étaient point utiles. La deuxième : d’autant qu’il a laissé le prochain par sa colère en ses œuvres, d’autres fois en aliénant le sien. La troisième : d’autant que, par sa colère, il troublait son prochain.

Le septième livre était la Volupté ; il avait aussi trois colonnes : La première : d’autant qu’il était impudique dans ses paroles et dans ses actes.
La deuxième : il était trop pétulant en ses paroles impures. La troisième était qu’il nourrissait trop délicatement son corps, se préparant des superfluités de mets délicats pour contenter sa sensualité et pour être estimé grand. En cette colonne, il y a plus de mille paroles. Il demeurait à table plus longtemps qu’il ne devait, ne considérant pas le temps qu’il y restait, non pour cajoler ni pour recevoir plus que la nature ne requérait mais bien pour prier ou travailler.

Voici, ô Juge, que mon livre est rempli. Adjugez-moi donc cette âme.
Or, le Juge ne disant mot, la Mère de miséricorde, qui semblait être fort loin, s’approchant, dit : Mon fils, je veux disputer de la justice contre ce diable.
Le Fils répondit : Ma chère Mère, si la justice n’est pas déniée au diable, pourquoi vous serait-elle déniée, à vous qui êtes ma Mère et la Reine des anges ? Vous pouvez aussi et savez toutes choses en moi, mais vous parlerez, afin que les autres connaissent combien je vous aime.

Lors la Mère parlait au diable, disant : Je te commande de répondre à trois choses que je te demande ; et bien que tu le fasses à regret, tu y es obligé par la justice, d’autant que je suis ta maîtresse. Dis-moi, ne sais-tu pas toutes les pensées des hommes?

Le diable dit : Non, sinon celles-là qui se manifestent par l’œuvre extérieure, et ce que j’en puis conjecturer de sa disposition, celles que je suggère dans le cœur, car bien que j’aie perdu ma dignité, néanmoins, par la subtilité de ma nature, il m’est demeuré tant de sagesse que par la disposition de l’homme, j’entre dans l’état de l’esprit, mais je ne puis pas connaître les bonnes pensées des hommes.
La Sainte Vierge lui dit encore : dis-le-moi, ô diable, bien que contraint : qu’est-ce qui peut effacer les écrits de ton livre?
Le diable répondit : Une seule chose, qui est la charité, car quiconque l’obtient dans son cœur, soudain l’écriture de mon livre est effacée.
La Sainte Vierge lui dit pour la troisième fois : Dis-moi, ô diable ! quelqu’un peut-il être si méchant et si corrompu qu’il ne puisse venir à résipiscence pendant qu’il vit?

Le diable répondit : Il n’y en a pas un qui, s’il veut, ne le puisse avec la grâce, car quand quelque pécheur que ce soit change sa mauvaise volonté en une bonne, est atteint des feux de la charité divine et veut demeurer ferme en icelle, tous les démons ne sauraient le retenir.

Ces choses étant ouïes, la Mère de miséricorde dit à ceux qui étaient à l’entour d’elle : Cette âme, à la fin de sa vie, s’est convertie à moi et m’a dit : Vous êtes Mère de miséricorde et faites miséricorde aux misérables. Je suis indigne de prier votre Fils, d’autant que mes péchés sont trop grands et ne trop grande quantité ; j’ai trop provoqué sa colère, aimant plus mes voluptés et le monde que Dieu, mon Créateur : partant, je vous supplie d’avoir miséricorde de moi, car vous ne la refusez à pas un qui vous la demande ; et partant, je me convertis à vous, et je vous promets que, si je vis, je veux m’amender, convertir ma volonté à votre Fils, et n’aimer autre chose que lui. Mais je suis surtout marri de n’avoir rien fait pour l’amour de votre Fils, mon Créateur : partant, je vous prie, ô très-clémente Dame, d’avoir compassion de moi, car je n’ai mon refuge qu’en vous. Par telles pensées et paroles, cette âme vint à moi à la fin de ses jours ; et ne la devais-je pas exaucer ? car qui est celui-là qui, priant un autre de tout son cœur et avec résolution de s’amender, ne mérite d’être exaucé ? Combien plus dois-je ouïr ceux qui crient à moi, qui suis Mère de miséricorde!

Le diable répondit : Je n’ai rien su d’une telle volonté ; mais si cela est comme vous dites, prouvez-le par des raisons évidentes.
La Mère répondit : Tu es indigne que je te parle. Néanmoins, parce que cela peut servir au prochain, je te répondrai : O misérable, tu as dit ci-dessus qu’en ton livre rien ne peut être effacé que par la divine charité. Et lors la Sainte Vierge, s’étant tournée à lui, dit au Juge : O mon Fils, que le diable ouvre donc maintenant son livre, qu’il le lise, et qu’il voie si toutes choses sont là entièrement écrites, ou s’il y a quelque chose d’effacé.

Lors le Juge dit au diable : Où est ton livre?
Et le diable dit : En mon ventre et ma mémoire, dit le diable, car comme dans le ventre sont toutes immondices et toute puanteur, de même en ma mémoire sont toute malice et toute méchanceté, qui sont puantes devant moi comme une corruption ; car quand je me suis retiré de vous et de votre lumière par la superbe, lors j’ai trouvé en moi toute sorte de malice, et ma mémoire a été obscurcie ès biens divins, et en cette mienne mémoire est écrite toute l’iniquité des pécheurs.

Lors le Juge dit au diable : Je te commande de voir diligemment ce qui écrit dans ton livre, ce qui est effacé des péchés de cette âme, et de le dire publiquement.
Le diable répondit : Je vois dans mon livre être écrit des choses que je n’ai jamais pensées, car je vois que ces sept choses sont effacées, et il ne demeure rien de plus en mon livre que moquerie.
Après, le Juge dit au bon ange qui était là présent :Où sont les bonnes œuvres de cette âme?

Elles sont en votre présence, dit le bon ange. Tout vous est connu. Nous voyons toutes choses en vous, de sorte qu’il ne nous est pas nécessaire d’en parler. Mais d’autant que vous voulez montrer votre charité, c’est pourquoi vous marquez votre volonté à ceux qu’il vous plaît, pourquoi, depuis que cette âme fut jointe à son corps, j’ai été toujours avec elle. J’ai écrit aussi un livre de ses biens : si vous voulez ouïr ce livre, il est en votre puissance.
Le Juge répondit : Je ne puis juger sans les avoir ouï d’avance ; et ayant connu les biens et les maux, lesquels étant bien considérés, la justice demande alors qu’il soit jugé ou à la mort ou à la vie.

L’ange répondit:
Mon livre est son obéissance par laquelle il vous a obéi, et en icelle, il y a sept colonnes : La première est le baptême .
La deuxième est l’abstinence, au jeûne, des œuvres illicites, péchés, et aussi des voluptés et des tentations de la chair.
La troisième est l’oraison et le bon propos qu’il a eu.
La quatrième est les bonnes œuvres en aumônes et autres œuvres de miséricorde.
La cinquième est l’espérance qu’il avait en vous.
La sixième est la foi qu’il a eue comme chrétien.
La septième est la divine charité.

Ces choses étant dites, le Juge lui dit encore : Où est votre livre?
En votre vision et amour, ô mon Seigneur ! dit l’ange.
Alors la Sainte Vierge, détrônant le diable : Comment, dit-elle, avez-vous gardé votre livre ? Comment s’est effacé ce qui y était écrit?
Lors le diable dit : Malheur ! Malheur ! vous m’avez déçu!

Après, le Juge dit à sa très-bénigne Mère : Vous avez avec raison, obtenu en ce fait absolution et avez avec justice gagné cette âme.
Le diable cria après : J’ai perdu ! je suis vaincu ! Mais dites-moi, ô Juge, combien de temps tiendrai-je cette âme pour les moqueries et cajoleries qu’elle a faites.

Le Juge lui dit : Je te le montrerai. Les livres sont ouverts et lus. Mais dis-moi, ô diable ! bien que je sache toutes choses, si cette âme doit entrer au ciel selon la justice, ou non. Je te permets de voir et savoir maintenant la vérité de la justice.
Le diable dit : La justice est en toi. Que si quelqu’un décède sans péché mortel, qu’il n’entre point en enfer, et quiconque a la divine charité de justice, doit avoir le ciel. Cette âme donc, n’étant point morte en péché mortel et ayant eu la divine charité, est prête à entrer dans le ciel, après qu’elle aura été purifiée.

Le Juge répondit : Puisque donc je te permets de dire la vérité de ma justice, dis, ceux-ci l’oyant, qu’est-ce qui me plaît et quelle doit être la justice de cette âme.
Le diable répondit : Qu’elle soit purifiée en telle sorte qu’il n’y reste aucune tâche, car bien qu’elle soit à vous, pourtant elle ne peut arriver à vous avant qu’elle ne soit purifiée. Et d’autant que vous, ô Juge, m’avez demandé, je vous demande maintenant, comment elle doit être purifiée et combien de temps elle sera en mes mains.

Le Juge répondit : Je te demande que tu n’entres point en elle et que tu ne l’absorbe pas en toi, mais tu la dois purifier jusqu’à ce qu’elle soit pure, et qu’elle ait enduré la peine selon la grandeur de la faute, car elle a péché en trois manières : trois en la vue, trois en l’ouïe, trois en l’attouchement, et partant, elle doit être punie triplement en la vue : 1. Elle doit voir ses péchés et ses abominations ; 2. elle te doit voir en ta malice ; 3. elle doit voir les peines terribles des autres âmes ; et que semblablement elle soit affligée en l’ouïe en trois manières :

1. Elle doit ouïr les malheurs horribles, d’autant qu’elle a voulu ouïr les louanges propres et les délectations du monde ; 2. elle doit ouïr les cris épouvantables et les moqueries des démons, 3. les opprobres et les misères effroyables, d’autant qu’elle a écouté avec plaisir plus les amours, les frayeurs du monde que celles de Dieu.

Elle est aussi affligée en trois manières en l’attouchement : 1. elle sera brûlée d’un feu très-ardent, tant au-dedans qu’au dehors, de sorte qu’il n’y aura pas la moindre tâche qui ne soit purifiée dans le feu ; 2. elle pâtira une grande rigueur de froid, d’autant qu’elle brûlait en ses cupidités et était glacée en ma charité ; 3. elle sera aux mains du diable, afin qu’il n’y ait pas la moindre pensée qui ne soit purifiée, jusqu’à ce qu’elle soit comme l’or passé par la coupelle à la volonté du possesseur.

Lors le diable demanda derechef combien de temps cette âme serait en cette peine.
Le Juge répondit : Tout autant de temps que sa volonté était de vivre au monde ; et d’autant qu’elle aurait voulu vivre en son corps jusques à la fin du monde, elle est obligée d’endurer cette peine jusques à la fin du monde, car telle est ma justice que quiconque a ma charité et me désire ardemment, souhaitant d’être avec moi et d’être séparé du monde, celui-là mérite d’avoir le ciel sans peine, d’autant que l’exercice de cette vie présente est sa purification. Or, celui qui craint la mort pour la peine de la mort et pour la peine qui suit la mort, et voudrait à raison de cela vivre plus longtemps afin de s’amender, celui-là aurait une peine plus légère dans le purgatoire ; mais celui qui a volonté de vivre jusques au jour du jugement , bien qu’il ne péchât mortellement, mais seulement pour l’amour qu’il a à cette vie, celui-là doit souffrir les peines du purgatoire jusques au jour du jugement.

Lors la Sainte Vierge Marie, pleine de miséricorde, dit : Béni soyez-vous, ô mon Fils, pour votre justice, qui est en toute miséricorde ! car bien que nous voyions et sachions toutes choses en vous, néanmoins, pour l’instruction des autres, dites-nous quel remède on peut appliquer pour diminuer un si long temps de peine, et quel pour éteindre un feu si ardent, et comment aussi cette âme peut être affranchie des mains des diables.

Le Fils répondit : Rien ne peut vous être refusé, car vous êtes la Mère de miséricorde, et vous cherchez et procurez la consolation à tous. Il y a trois choses qui diminuent un si long temps de peine, qui éteignent ce feu et délivrent des mains des démons : la première, si on rend par quelque peine ce qu’il a pris injustement ou devait rendre aux autres justement, car ma justice veut que cette âme soit purifiée, ou par les prières des saints, ou par aumônes, bonnes œuvres des amis, ou par quelque purification digne pour cela. La deuxième est par des aumônes très-grandes, car par elles, le péché est éteint comme le feu par l’eau. La troisième est par les messes et sacrifices, et par les prières des amis. Ce sont ces trois choses qui la délivreront de ces trois peines.

La Mère de miséricorde répondit derechef : Qu’est-ce que lui profitent maintenant les bonnes œuvres qu’il a faites pour vous?
Le Fils répondit : Vous ne le demandez pas parce que vous l’ignorez, puisque vous savez toutes choses et les voyez en moi, mais vous le demandez afin que mon amour soit manifesté aux autres. Certainement, il n’y aura pas la moindre parole ni la moindre pensée pour mon honneur, qu’elles n’aient leur récompense, car toutes les choses qu’il a faites pour l’amour de moi, sont maintenant devant lui, et en sa peine, elles lui servent de soulagement, et moindres sont les rigueurs du feu qu’elles ne seraient. Après, la Sainte Vierge dit à son Fils : Pourquoi est-ce que cette âme demeure immobile, ne bougeant ni remuant contre ses ennemis, bien qu’elle soit vivante?

Le Juge répondit : Le prophète a écrit de moi que je fus comme un agneau muet devant le tondeur : véritablement, je garde silence devant mes ennemis, et ma justice veut que, comme cette âme se soucia peu de ma mort, elle soit maintenant comme un enfant qui ne sait crier contre ses ennemis.

La Mère répondit : Béni soyez-vous, ô mon doux Fils, qui ne faites rien sans justice ! Vous avez déjà dit que vos amis pourraient secourir cette âme, et vous savez que cette âme m’a servie en trois manières : 1- par abstinence, jeûnant les vigiles de mes fêtes, et, et le faisant pour mon nom ; 2- elle disait mes heures ; 3- elle chantait de sa propre bouche pour mon honneur. O mon Fils ! puisque vous exaucez ceux qui vous prient en la terre, daignez exaucez aussi ma prière.

Le Fils répondit : Plus quelqu’un est ami de quelque seigneur, plus ses prières sont exaucées et le plus tôt ; et d’autant que vous m’êtes la plus chère par-dessus tous , demandez ce que vous voudrez, et il vous sera donné.
La Mère répondit : Cette âme souffre trois sortes de peines en la vue, trois en l’ouïe et trois en l’attouchement : je vous supplie donc, ô mon Fils très-cher, 1- de lui vouloir diminuer une peine de la vue, savoir, qu’elle ne voie point les diables horribles, mais qu’elle souffre les deux autres peines, puisque votre justice l’exige de la sorte, et à laquelle je ne puis aller contre, selon la justice de votre miséricorde.
2- Je vous supplie de lui diminuer une des peines de l’ouïe, savoir, qu’elle n’entende l’opprobre et la confusion. 3- Je vous supplie de lui diminuer une des peines de l’attouchement, savoir, qu’elle ne ressente pas un froid si rigide qu’elle mérite de ressentir, d’autant qu’elle était froide en votre charité.

Le Fils répondit : Bénie soyez-vous, ma Mère très-chère ! Rien ne peut vous être refusé. Que votre volonté soit faite.
La Mère répondit : Béni soyez-vous, ô, mon très-cher Fils, pour l’amour et la miséricorde que vous portez aux âmes!

Puis, on vit soudain un des saints avec une grande milice, qui disait : Louange vous soit, Seigneur Dieu, Créateur et Juge de tous ! Cette âme dévote m’a servi en sa vie ; elle a jeûné pour mon honneur ; elle m’a loué, moi et tous les amis qui vous environnent. Partant, de leur part et de la mienne, je vous en supplie, Seigneur, faites-lui miséricorde pour l’amour de nos prières. Donnez-lui le repos en une des peines, savoir, que les démons n’aient point puissance d’obscurcir sa conscience, car leur malice obscurcit tellement son âme, s’ils n’en sont empêchés, qu’elle n’attendrait point la fin de sa misère ni l’acquisition de la gloire, si ce n’est que vous jetiez les yeux de votre grâce sur lui, et cela lui sera le plus grand supplice des supplices. Donnez-lui, ô Seigneur plein de miséricorde, en considération de nos prières, la grâce de savoir certainement que sa peine finira, et qu’il possédera un jour la gloire éternelle.

Le Juge répondit : Ma justice veut que les démons obscurcissent son âme, d’autant que, quand elle vivait, elle retirait son esprit et sa pensée de la contemplation spirituelle, les tournait aux choses corporelles, et ne se souciait d’être sans connaissance et d’agir contre moi. Mais d’autant que vous, ô mes amis ! avez ouï et reçu mes paroles et mes inspirations, et les avez accomplies par œuvres, il n’est pas raisonnable que je refuse et rejette vos demandes, mais je ferai ce que vous demanderez.

Or, lors tous les saints répondirent : Béni soyez-vous, ô Dieu, en votre justice, qui jugez justement, qui ne laissez rien d’impuni!
Après, l’ange gardien dit au Juge : J’ai accompagné cette âme des que l’âme fut unie à ce corps, et le suivais comme votre providence charitable l’avait ordonné, et elle faisait quelquefois ma volonté. Partant, je vous en prie maintenant, ô mon Seigneur, ayez miséricorde d’elle.
Lors Notre-Seigneur dit : Nous voulons délibérer sur ce sujet. Et Lors la vision disparut.

DÉCLARATION
L’homme dont il est parlé en ce chapitre fut un soldat doux et ami des pauvres. Sa femme fit de grandes aumônes pour l’amour de lui, qui mourut à Rome, comme il avait été prédit d’elle au livre III, chapitre XII.