La Sainte Vierge Marie parle : Béni soyez-vous, ô mon Fils, mon Dieu et mon
Seigneur ! Bien que je ne puisse m’attrister, néanmoins, j’ai compassion du
genre humain, de trois choses :
1- d’autant que l’homme a des yeux et est aveugle, car il voit sa captivité et
la suit ; il se moque de votre justice, et il rit quand il satisfait à sa
cupidité ; il tombe en un point dans les peines éternelles, et il perd la gloire
qui n’a point de fin.
2- J’ai compassion de l’homme, d’autant qu’il affecte et regarde avec joie la
monde, ne considère point votre miséricorde, cherche ce qui est petit et rejette
tout ce qui est grand.
3- Je compatis, d’autant que vous étant Dieu de tous, néanmoins votre honneur
est oublié et négligé de tous, et vos œuvres sont mortes devant eux : partant, ô
mon Fils très-doux, ayez miséricorde d’eux.
Le Fils répondit : Tous ceux qui sont au monde et qui sont de bonne conscience
voient qu’au monde la justice règne, par laquelle les pécheurs sont punis. Si
donc les excès corporels sont punis des hommes par la justice, combien plus il
est juste que l’âme immortelle soit punie de Dieu immortel ! L’homme pourrait
voir et entendre ceci, s’il voulait ; mais d’autant qu’il tourne ses yeux vers
le monde et ses affections à ses voluptés, c’est pourquoi il suit la nuit, comme
l’homme suit les biens fugitifs et a à haine les biens permanents.
En second lieu, l’homme peut voir et considérer, s’il veut, que, s’il y a de la
beauté dans les plantes, les arbres ; que si, en ce qui est au monde, il y a
quelque chose désirable, combien plus Dieu est beau et désirable, le Seigneur et
Créateur de toutes choses ! Que si la gloire temporelle, passagère et
périssable, est désirée avec tant d’ardeur, combien plus est désirable la gloire
éternelle ! Cet homme pourrait voir cela, car il a bien l’intelligence pour
comprendre que ce qui est plus grand et plus excellent doit être plus aime que
ce qui est moindre et ce qui ne vaut guère. Mais d’autant que l’homme penche
toujours aux choses inférieures, comme les animaux irraisonnables, bien qu’il
doive tendre et regarder toujours en haut, c’est pourquoi toutes ses œuvres sont
comparées à la toile d’araignée. Il laisse la beauté des anges ; il suit les
choses passagères, c’est pourquoi il fleurit comme le foin pour peu de temps, et
tombe aussi bientôt comme le foin.
En troisième lieu, ils savent en conscience, et certes, ils ont créé afin de
connaître qu’il y a un Dieu, créateur de toutes choses, car s’il n’y avait pas
un créateur d’icelles, tout ce qui est réglé serait en désordre, quoique toutes
choses soient bien réglées, excepté celles que l’homme déréglé ; et bien qu’il
semble aux hommes qu’en l’ordre de la nature, il y a du dérèglement, d’autant
qu’il ignore le cours des planètes et le cours du temps, d’autant que Dieu les
leur a cachés à raison des péchés. Si donc, il y a un seul Dieu, et celui-là
bon, d’autant que tout bien dépend de lui, pourquoi l’homme ne l’honore-t-il pas
par-dessus tous, puisque la raison lui dicte qu’il doit être honoré par-dessus
tous, puisque tout dépend de lui?
Mais l’homme, comme vous avez dit, a deux yeux, et il ne voit rien, voire lui-même s’aveugle par les blasphèmes
malheureux, d’autant qu’il rapporte aux étoiles la bonté ou le malheur des
hommes, ou bien au destin et à la fortune, l’évènement des choses prospères ou
adverses, comme si en eux, il y avait quelque chose de divin qui pût engendrer
ou faire quelque chose, bien que le destin ou la fortune ne soit rien pour tout,
car la disposition de l’homme et de toutes choses a été prévue en la prescience
divine, et est conduite constamment selon l’exigence de chaque chose ;
certainement les étoiles ne font pas que l’homme soit bon ou mauvais, bien qu’on
voie en icelles plusieurs choses raisonnables, savoir est, selon les conditions
et qualités de la nature et l’exigence des saisons. Les hommes pourraient-ils,
s’ils voulaient, prévoir ces choses?
La Mère de Dieu répondit : Tout homme qui a bonne conscience entend fort bien
que Dieu est plus aimable que toute autre chose, et qu’il doit témoigner cela
par œuvres ; mais d’autant qu’une membrane a couvert ses yeux, bien que la
paupière soit saine, c’est pourquoi ils n’y voient pas tous. Mais qu’est-ce que
cette membrane signifie, sinon la considération des choses futures, qui a
couvert la connaissance de plusieurs.
Partant, je vous supplie, ô mon très-cher Fils, de vouloir manifester à
quelqu’un quelle est votre justice, non pas afin que sa honte et sa misère
s’accroissent, mais afin que la peine qu’il mérite soit diminuée, et afin qu’on
connaisse et qu’on craigne votre justice ; car là où le sac est plein de quelque
chose, et où le vase est plein de lait, l’homme ne saura ce qui y est contenu,
s’il ne le vide, de même, bien que votre justice soit grande, si vous ne la
manifestez par un manifeste jugement, elle sera crainte de peu, d’autant que
vos œuvres admirables se sont avilies par la longueur du temps et par la
grandeur des péchés.
En deuxième lieu, je vous supplie qu’il vous plaise manifester votre miséricorde
par quelqu’un de vos chéris pour la dévotion des autres et pour la consolation
des misérables.
En troisième lieu, je vous supplie que votre nom soit honoré, afin que les
diligents le connaissent et que les tièdes en soient allumés.
Le Fils répondit : Où plusieurs amis entrent et prient, ils sont dignes d’être
exaucés : combien plus quand une très-chère dame entre ! Qu’il soit donc fait
comme vous désirez. Ma justice sera si évidemment manifestée, que les membres de
ceux qui l’expérimenteront, et desquels les œuvres viendront en public,
trembleront.
En deuxième lieu, je donnerai à une personne miséricorde, autant qu’elle en
pourra prendre et qu’elle en aura besoin ; son corps sera exalté et son âme
glorifiée, en sorte que ma miséricorde en sera manifestée.
Après, la Mère de Dieu parla, disant : Les lieux des religieux sont éloignés du
bien ; ils sont fondés sur la glace ; leur fondement était autrement d’or
très-pur. Dessous ces lieux, il y a une cave très vaste. Quand la chaleur du
soleil sera en vigueur, la glace fondra, et ce qui a été édifié tombera dans
l’abîme. Partant, ô mon Fils, ayez miséricorde d’eux. La chute est horrible ;
les ténèbres et les peines y sont sans fin.
|