Notre-Seigneur donne en ce chapitre à sainte Brigitte les enseignements de la vie active et contemplative.
Chapitre 65

Le Fils de Dieu parle, disant : Il y a deux vies qui sont comparées, l’une à Marthe, l’autre à Magdelène : celui qui les voudra imiter et suivre doit faire premièrement une pure confession de tous ses péchés, s’excitant à une vraie contrition et résolution de ne plus pécher à l’avenir.

La première vie que je témoigne que Marie a embrassée, conduit à la contemplation des choses célestes, car celle-là est la meilleure part de la vie éternelle. A celui donc qui désire tenir la vie de Marie, il lui suffit d’avoir seulement les nécessités corporelles, savoir, des vêtements sans ostentation, le boire et le manger avec sobriété, et non en superfluité, la chasteté sans aucune mauvaise délectation, et qu’il garde les jeûnes selon les constitutions de l’Église. Or, que celui qui jeûne prenne garde de n’être malade par l’excès de quelque jeûne, et que ce jeûne ne lui fasse diminuer l’oraison ni les prédications, ou bien qu’il n’omette quelque autre bien à raison de cela, qui puisse profiter à soi ou à son prochain ; qu’il prenne encore prudemment garde que le jeûne ne le rende lâche à la rigueur de la justice, ou paresseux aux œuvres de piété, car la force de corps et d’esprit est requise pour punir les rebelles et pour assujettir les infidèles.

Partant, tout infirme qui voudrait mieux jeûner pour l’honneur de Dieu que manger, aura égale récompense à raison de sa bonne volonté, comme celui qui jeûne, ému de charité : semblablement celui qui mange par obéissance, voulant plus jeûner que manger, aura la même récompense que celui qui jeune.

En deuxième lieu, Marie ne doit se réjouir de l’honneur du monde ni de ses prospérités, ni s’affliger des adversités, mais qu’elle se réjouisse seulement en cela que les impies deviennent dévots, que les amateurs du monde aiment Dieu, que les bons avancent au bien, et combattant pour le service de Dieu, deviennent plus dévots. Qu’elle soit encore marrie de ce que les pêcheurs tombent de pis en pis, que Dieu ne soit point aimé de sa créature et que le commandement de Dieu soit méprisé.

En troisième lieu, Marie ne doit point être oisive, ni Marthe, mais que le sommeil étant achevé, elle se lève et remercie Dieu de bon cœur, d’autant que, par sa bonté et son amour, il a créé toutes choses, montrant, par sa passion et par sa mort, l’amour qu’il portait à l’homme, amour si grand qu’il n’eut jamais d’égal.

Que Marie rende encore grâces à Dieu pour tous ceux qui ont été sauvés, pour tous ceux qui sont au purgatoire et pour ceux qui sont au monde, priant humblement Dieu qu’il ne permette qu’ils soient tentés par-dessus leurs forces. Que Marie soit aussi discrète en l’oraison et dans les louanges de Dieu, afin que tout soit réglé, car si elle a les nécessités de la vie en la solitude, elle doit faire les oraisons plus prolixes ; que si elle se dégoûte en priant et que les tentations s’accroissent, elle peut travailler de ses mains à quelque ouvrage honnête, utile pour soi ou pour les autres. Que si elle se dégoûte en l’un et en l’autre, elle pourra lors avoir quelque occupation honnête ou écouter des paroles d’édification avec toute honnêteté, sans aucune cajolerie, jusques à ce que le corps et l’âme se rendent plus habiles à l’œuvre de Dieu.

Que si Marie n’a point ce qui est nécessaire pour sustenter son corps, si elle ne travaille, lors qu’elle fasse une plus courte oraison, à raison de l’œuvre nécessaire, et ce labeur sera perfection et accroissement d’oraison. Que si Marie ne sait travailler ou qu’elle ne le puisse, qu’elle n’ait point honte de mendier, mais qu’elle se réjouisse de m’imiter, moi qui suis Fils de Dieu, qui me suis fait pauvre pour enrichie l’homme. Que si Marie est sujette à l’obéissance, qu’elle vive selon l’obéissance de son prélat, et sa couronne lui sera redoublée plus que si elle était en liberté.

En quatrième lieu, Marie ne doit point être avare, ni aussi Marthe, ni aussi elle ne doit être trop prodigue, car comme Marthe donne le temporel pour l’amour de Dieu, de même Marie doit distribuer le spirituel, car si Marie a chèrement Dieu dans son cœur, qu’elle se donne garde de cette maxime : Il me suffit. Si je puis aider mon âme, que m’importent les œuvres du prochain ? ou si je suis bien, que m’importe la vie d’autrui ? O ma fille, si ceux qui pensent et disent telles choses voyaient leur ami être déshonoré et affligé, ils y courraient jusques à la mort, afin de l’affranchir de la tribulation. Marie en doit faire de même, car elle doit être marrie que Dieu soit offensé, que son frère, qui est le prochain, soit scandalisé ; ou si quelqu’un tombe en péché, que Marie, s’efforce autant qu’elle pourra de l’en arracher, avec discrétion néanmoins ; que si, pour cela, Marie est poursuivie, qu’elle cherche un autre lieu plus assuré, car moi, Dieu, j’ai dit : Quand on vous poursuivra en une cité, fuyez en une autre, car Paul en fit de même, d’autant qu’il était nécessaire pour un autre temps, c’est pourquoi, il a été mis dehors en une corbeille par la muraille.

Afin donc que Marie soit universelle et pieuse, cinq choses lui sont nécessaires : 1. la maison en laquelle dorment les hôtes ; 2. les vêtements pour vêtir les nus ; 3. la viande pour les malades, c’est-à-dire, paroles de consolation avec la charité divine.

La maison du Marie est son cœur, les mauvais hôtes duquel sont tout ce qui trouble ce cœur, savoir, ire, tristesse, cupidité, superbe et autres choses semblables qui entrent par les cinq sens. Tous ces vices donc doivent être ou gisants ou dormants, comme ceux qui sont en un profond repos, car comme l’hospitalier reçoit les bons et les mauvais hôtes avec patience, de même Marie doit tout supporter avec paix pour l’amour de Dieu, et ne consentir en la moindre chose aux vices ni se plaire en eux, mais bien les repousser de son cœur autant qu’elle pourra avec la grâce de Dieu. Que si elle ne les peut chasser, qu’elle les souffre patiemment contre sa volonté, comme des hôtes, sachant pour certains qu’ils lui profitent à de plus grandes couronnes, et non à damnation.

Marie a des vêtements pour couvrir les hôtes, savoir, l’humilité intérieure et extérieure, et la compassion de l’esprit en l’affliction du prochain. Que si Marie est méprisée des hommes, elle revienne soudain en son esprit, pensant comme moi, Dieu, était content, et étant méprisé, je souffrais patiemment, et comme étant juge, je me tus, comment je ne murmurais point quand j’étais fouetté et couronné d’épines. Que Marie considère aussi qu’elle ne montre point signe d’ire et d’impatience à ceux qui la reprennent aigrement, mais qu’elle bénisse ceux qui la poursuivent, afin que ceux qui la voient bénissent Dieu.

Que Marie imite, et Dieu lui donnera bénédiction pour la malédiction. Que Marie se donne encore garde qu’elle ne médise ou impropère ceux qui lui sont fâcheux, car c’est une chose damnable de médire et d’écouter les médisants et d’injurier le prochain par impatience.

Partant, que Marie donne de bons exemples d’humilité et de patience parfaite ; qu’elle tâche d'avertir ceux qui médisent d’autrui, et leur marque le danger dans lequel ils se précipitent, et qu’avec charité, elle les porte à la vraie humilité, employant à cela sa parole et son bon exemple. D’ailleurs, le vêtement de Marie doit être la compassion, car si elle voit que son prochain pèche, elle en doit avoir compassion, priant Dieu qu’il lui pardonne ; que si elle voit qu’il souffre les injures, dommages, mépris, qu’elle en ait douleur avec lui ; qu’elle l’aide par ses prières, secours, et de soin, même parmi les puissants du siècle, car la vraie compassion ne cherche point ses intérêts, mais bien ceux de son prochain. Que si Marie est telle que les princes ne l’écoutent point et qu’elle ne profite de rien de leur parler, qu’elle prie lors Dieu pour les affligés, et Dieu, qui est celui qui regarde le cœur, convertira le cœur des hommes pour la paix de l’affligé, pour l’amour de celle qui le prie, ou bien il l’affranchira de la tribulation, ou Dieu lui donnera la patience pour la supporter, et afin que sa couronne soit redoublée. Telle doit donc être la robe d’humilité au cœur de Marie, car il n’y a rien qui attire tant Dieu dans le cœur que l’humilité et la compassion du prochain.

3. Que Marie ait du pain et du vin pour les hôtes, car dans le cœur de Marie sont logés de grands hôtes, savoir : quand le cœur est ravi au dehors et appète des choses délectables, avoir les choses terrestres, posséder les temporelles ; quand l’oreille désire ouïr ses propres louanges ; quand la chair désire ses appétits charnels ; quand l’esprit s’excuse sur sa fragilité et diminue ses fautes ; quand le dégoût des choses bonnes la saisit ; l’oubli du futur ; quand elle a grande estime de ses bonnes œuvres ; quand elle croit que ses maux soient petits, ou qu’elle les oublie. Contre tels hôtes, elle a besoin de conseil et de ne point dormir en dissimulant. Que Marie donc, animée par la foi, se lève fortement, et qu’elle réponde en cette sorte à ces hôtes : Moi, je ne veux rien posséder du temporel, mais je me contente de ma petite nourriture ; je n’en veux point ; je veux employer jusques au moindre moment du temps à l’honneur de Dieu ; je ne veux point occuper mon esprit à ce qui est beau ou laid, utile ou inutile à la chair, ce qui est à goût ou à dégoût, si ce n’est autant que cela plaît à Dieu et touche à l’utilité de l’âme. Certes, je ne me saurais plaire à vivre un seul moment que pour l’honneur de Dieu : une telle volonté est la viande des hôtes, et une telle réponse éteint les délectations déréglées.

4. Que Marie ait du feu pour chauffer les hôtes et pour les éclairer. Ce feu est l’amour du Saint-Esprit, car il est impossible que quelqu’un puisse entièrement renoncer à ses propres volontés, ou aux affections charnelles de ses parents, ou à l’amour des richesses, sans l’inspiration et le mouvement du Saint-Esprit ; ni même Marie, bien qu’elle soit parfaite, ne peut commencer ni continuer la vie bienheureuse sans la dilection et l’inspiration du Saint-Esprit.

Afin donc que Marie reluise aux hôtes qui arriveront, qu’elle pense à ceci : Dieu m’a créée afin que je l’honorasse sur toutes choses, et qu’en l’honorant, je l’aimasse avec crainte. Il est aussi né de la Vierge, afin de m’enseigner la voie du ciel, laquelle je devais suivre, en l’imitant avec humilité. Par sa mort, il a ouvert le ciel, afin que je soupirasse là en y allant. Que Marie examine encore toutes ses œuvres, pensées et affections, savoir, comment elle a offensé Dieu, combien patiemment Dieu supporte les hommes, et en combien de manières Dieu appelle l’homme à soi.

Telles ou semblables pensées sont les hôtes de Marie, qui sont quasi en ténèbres, s’ils ne sont illuminés par les feux du Saint-Esprit. Ces feux viennent lors au cœur, quand Marie considère qu’il est raisonnable de servir Dieu, quand elle voudrait plutôt souffrir toute autre peine que provoquer à dessein Dieu à la colère, par la bonté duquel l’âme est créée et rachetée de son précieux sang. Lors aussi le cœur reçoit la lumière de ce bon feu, quand l’âme considère et discerne pour quelle intention l’hôte vient, c’est-à-dire, une chacune des pensées, quand elle examine si sa pensée tend à la joie éternelle ou à la joie passagère, si elle n’admet aucune pensée sans l’avoir reconnue, et nulle sans punition.

Afin donc qu’on obtienne ce feu, et que, l’ayant obtenu, il soit conservé, il est besoin que Marie y porte du bois sec pour le nourrir, c’est-à-dire, elle doit prendre garde aux mouvements de la chair, afin que la chair ne se rende insolente et qu’elle apporte toute sorte de diligence, afin que les œuvres de piété et les oraisons dévotes s’augmentent, esquelles le Saint-Esprit se plaît et se délecte. Mais il faut prendre garde et considérer que là où le feu est allumé en un vase bouché sans issue, soudain il s’éteint et le vase se refroidit : de même en est-il quand il est expédient à Marie, si elle ne veut vivre pour autre chose, si ce n’est pour l’honneur de Dieu, d’ouvrir la bouche, et que la flamme de l’amour en sorte. Or, on ouvre lors la bouche, quand, en parlant, poussé par l’amour divin, on engendre des enfants d’amour à Dieu. Mais que Marie prenne diligemment garde que là elle ouvre la bouche de sa prédication, où les bons deviennent fervents et où les mauvais se rendent bons, où la justice peut être augmentée et où les coutumes dépravées peuvent être abolies, car Paul, mon apôtre, voulant parler quelquefois, mon Esprit le lui défendit, qui le fit parler et se taire à propos, qui lit fit user de paroles douces et rudes, qui proféra toutes ses paroles pour la gloire de Dieu et pour l’affermissement de la foi.

Que Marie, si elle ne peut prêcher, en ayant néanmoins la volonté et la science, fasse comme le renard, qui, voyant plusieurs montagnes, fait sa tanière là où il trouve le plus de repos : de même que Marie prenne garde à ses paroles, à ses exemples et aux oraisons du cœur de plusieurs, et quand elle trouve des cœurs disposés à recevoir la parole divine, qu’elle demeure là, persuadant et conseillant tout ce qu’elle pourra.

Que Marie travaille aussi afin qu’une issue convenable soit donnée à sa flamme, car plus grande est la flamme, plus plusieurs en sont illuminés et enflammés. Or, lors l’issue est convenable, quand Marie ne craint point le blâme ni ne cherche sa propre louange, quand elle ne craint point l’adversité ni ne s’attache point à la prospérité ; et lors elle est plus acceptable à Dieu, quand Marie fait plutôt les bonnes œuvres en public qu’en particulier, de sorte que ceux qui les voient glorifient Dieu.

Nous devons savoir qu’il faut que Marie envoie deux flammes, une en public, l’autre en cachette, c’est-à-dire, elle doit avoir deux sortes d’humilité : l’une intérieure, dans le cœur, l’autre extérieure.
La première consiste à ce que Marie s’estime indigne et inutile à tout bien, et qu’elle ne se préfère à pas un, ni ne veuille être louée ; qu’elle ne désire être vue et qu’elle fuie l’arrogance, désirant et aimant Dieu sur toutes choses et imitant toutes choses. Or, si Marie jette telles flammes, signes de bonnes œuvres, lors son cœur sera illuminé, et elle surmontera toutes les adversités et les supportera facilement.

En deuxième lieu, que sa flamme soit en public, car si elle a la vraie humilité dans le cœur, elle doit paraître dans le vêtement, être ouïe en la bouche et être accomplie en l’œuvre. Or, c’est lorsque la vraie humilité est dans les habits que Marie choisit la robe de moindre valeur, de laquelle elle reçoit plus d’utilité et de service que d’une autre qui a plus d’éclat, de superbe et d’ostentation, car la robe qui est de peu de valeur est appelée vile et abjecte devant les hommes, et belle devant Dieu, d’autant qu’elle aide à l’humilité ; mais la robe qui est de grand prix est appelée belle devant les hommes et vile devant Dieu, d’autant qu’elle ôte la beauté des anges, qui est l’humilité. Que si Marie est obligée d’avoir une meilleure robe pour quelque chose raisonnable contre sa volonté, qu’elle ne se trouble pas pour cela, car de là ses récompenses s’augmentent. D’ailleurs, Marie doit avoir l’humilité en la bouche, savoir, parlant humblement et de choses humbles, évitant les cajoleries, se gardant de trop parler, ne subtilisant ses paroles, ne les préférant aux autres.

Que si Marie oyait se louer pour quelque bonne œuvre, qu’elle ne s’élève point, mais qu’elle dise : Louange soit à Dieu, qui a donné toutes choses ! car que suis-je autre chose que poudre devant la face du vent ? Ou bien : Quel bien peut-on attendre de moi, qui suis une terre sèche et sans eau ? Que si elle est blâmée, qu’elle ne s’afflige point, mais qu’elle dise : Je suis digne de cela, car j’ai tant de fois péché contre Dieu et n’en ai point fait pénitence, que je mérite de plus grandes afflictions ; partant, priez pour moi, afin que, tolérant les opprobres temporels, j’évite les éternels.

Que si Marie est provoquée à colère par la méchanceté du prochain, elle se garde de dire des paroles d’indiscrétion, car la colère est souvent accompagnée de la superbe : partant, le conseil veut que, la colère la pressant, elle contienne sa langue jusques à ce qu’elle puisse demander à Dieu la grâce de pâtir, et de délibérer avec paix sur ce qu’elle doit répondre et comment, afin qu’elle puisse se surmonter elle-même, car lors la colère est adoucie dans son cœur, et lors l’homme répond sagement aux fous.

Sachez aussi que le diable envie grandement Marie : que s’il ne la peut empêcher par l’infraction des commandements de Dieu, lors il l’excite à la colère, ou à s’épandre et dilater en vaine joie, ou aux paroles dissolues et provoquant le rire : partant, que Marie demande toujours à Dieu le secours ; que toutes ses paroles et ses œuvres soient gouvernées par lui et dirigées vers lui. D’ailleurs, que Marie ait l’humilité en ses œuvres, afin qu’elle ne fasse rien pour la louange mondaine, qu’elle n’entreprenne rien de nouveau, que l’humilité ne lui soit point honteuse, qu’elle fuie la singularité, qu’elle défère à tous, qu’elle se répute indigne de tous. D’ailleurs, que Marie élise plutôt d’être avec les pauvres qu’avec les riches, d’obéir plutôt que de commander, de se taire que de parler, d’être plutôt solitaire que d’être avec les grands, et de converser avec ses parents. Que Marie ait aussi en haine se propre volonté ; qu’elle médite toujours sa mort ; qu’elle ne soit point curieuse murmurante ni oublieuse de la justice de Dieu et de ses affections. Que Marie se confesse souvent aussi ; qu’elle prenne garde à ses tentations, ne désirant vivre pour autre chose que pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes.

Marie donc, étant telle que nous avons dit, pourra être élue en Marthe ; et étant obéissante par l’esprit d’amour, qu’elle entreprenne le gouvernement des âmes de plusieurs, car elle aura une double couronne, comme je vous le montrerai par une similitude.

Il y avait un seigneur qui était grandement puissant, qui avait un navire chargé de marchandises précieuses. Il dit à ses domestiques : Allez à un tel port ; là je dois gagner beaucoup et recevoir quasi un fruit inestimable. Si les vents s’élèvent, travaillez généreusement, et ne perdez point courage ; gardez-vous de la lâcheté, car votre récompense sera grande.

Or, les serviteurs cinglant en la mer, les vents les assaillirent, les orages s’élevèrent, les flots s’enflèrent, et le navire fut brisé en plusieurs lieux. Lors le pilote eut grande peur, et tous désespéraient de leur vie. Ils résolurent d’aborder à un autre port, où les vagues les portaient, et non à celui où le maître leur avait recommandé d’aller ; ce qu’oyant, un des plus fidèles serviteurs, étant marri de cette résolution, prit courageusement le gouvernail, et de ses forces pourra le navire au port que son maître désirait. On doit donc donner à ce domestique une plus grande récompense.

De même en est-il d’un bon prélat qui, pour l’amour de Dieu et pour le salut des âmes, a reçu le gouvernement des âmes, ne se souciant de l’honneur. Or, celui-là aura une double récompense : la première, d’autant qu’il sera participant de tous les biens de ceux qu’il a conduits au port de salut ; la deuxième, parce que sa gloire augmentera sans fin. Le contraire sera de ceux qui briguent les charges, honneurs et dignités : ils seront participants de toutes les peines et de tous les péchés de ceux dont ils ont entrepris le gouvernement. En deuxième lieu, leur confusion sera sans fin, car les prélats qui ambitionnent les honneurs, sont plus semblables aux prostituées qu’aux prélats, d’autant qu’ils déçoivent les âmes par leurs mauvais exemples et par leurs paroles, et sont indignes du nom de Marie ou de Marthe, s’ils n’en font pénitence.

5. Marie doit donner des médecines à ses hôtes, c’est-à-dire, les réjouir par de bonnes paroles, car en tout ce qui lui peut arriver de triste ou de joyeux, elle doit dire : Je veux tout ce que Dieu veut que je veuille, et je suis prête à obéir à ses volontés, quand même j’irais en enfer. Une telle volonté est la médecine du cœur, et cette volonté est la délectation ès tribulations et le tempérament ès prospérités. Mais d’autant que Marie a plusieurs ennemis, c’est pourquoi elle se doit confesser souvent, car tandis qu’elle demeure sciemment en péché, ayant temps de se confesse, le néglige ou ne le considère, lors elle doit être plutôt appelée apostate devant Dieu que Marie. D’ailleurs, sachez, quant aux actions de Marthe, que, bien que la part de Marie soit la meilleure, la part de Marthe n’est pas mauvaise, mais louable et agréable à Dieu ; c’est pourquoi je vous dirai maintenant comment elle doit être formée.

Elle doit avoir, aussi bien que Marie, cinq sortes de biens : 1. une foi droite en l’Église de Dieu ; savoir, 2. les commandements de Dieu et les conseils de la vérité évangélique, et elle doit les accomplir par amour et par œuvre ; 3. elle doit retenir sa langue de toute mauvaise parole, et doit contenir l’esprit des cupidités insatiables et des plaisirs déréglés, se savoir contenter de ce qu’on lui donne, sans vouloir le superflu; 4. accomplir avec raison et humilité les œuvres de miséricorde, afin que, s’appuyant en ses œuvres, elle n’offense Dieu ; 5. aimer Dieu sur toutes choses et plus que soi-même.

C’est de la sorte que Marthe se comporta, car elle se donna à moi fort joyeusement, suivant mes paroles et mes œuvres ; et puis, elle donna tous ses biens pour l’amour de moi, et elle se dégoûta des choses temporelles et recherchait les célestes ; c’est pourquoi elle souffrait toutes choses patiemment, et avait autant de soin des autres que de soi-même ; elle considérait incessamment l’amour que je lui avais porté et les douleurs que j’avais souffertes, et se réjouissait en ses prières, et comme une mère, elle aimait tout le monde. Marthe me suivait aussi tous les jours, ne désirant qu’ouïr la parole de vie ; elle compatissait avec les affligés ; elle consolait les infirmes ; elle ne disait mal de personne, mais elle semblait ne voir les méchancetés du prochain ; n’y pouvant remédier, elle priait Dieu pour leur conversion. Celui donc qui désire avoir la charité en la vie active, doit suivre Marthe, aimant le prochain pour obtenir le ciel, mais non pas en entretenant ses vices, fuyant la louange propre, toute superbe, duplicité, ire, envie.

Mais remarquez que Marthe, priant pour le Lazare, son frère mort, vint la première à moi ; mais soudain son frère ne ressuscita pas. Mais Marie vint après, étant appelée, et lors, pour l’amour de toutes les deux, le Lazare ressuscita. De même en est-il dans la vie spirituelle, car celle qui désire être parfaitement à Marie, doit être premièrement Marthe, travaillant corporellement pour l’amour de moi, et elle doit plutôt savoir résister aux désirs charnels et aller au-devant des tentations du diable, que monter franchement au degré de Marie, car celle qui est éprouvée et tentée et qui n’a pas vaincu les mouvements charnels, comment pourra-t-elle s’unir continuellement ès choses célestes ? car souvent une bonne œuvre se fait avec un intention indiscrète et d’un esprit indéterminé ; et partant, en son progrès, elle est avec lâcheté et froideur ; mais afin que la bonne œuvre me soit agréable, elle ressuscité et revit par Marthe, c’est-à-dire, quand le prochain est sincèrement aimé et désiré sur toutes choses ; et lors toute bonne œuvre est agréable à Dieu ; c’est pourquoi je dis en mon Evangile que Marie avait choisi la meilleure part, car la part de Marthe est lors bonne, quand elle est dolente des péchés du prochain, et lors la part de Marthe est meilleure, quand elle travaille, afin que les hommes vivent sagement et honnêtement, et lorsqu’elle fait cela pour la seule dilection et amour divin ; mais la part de Marie est meilleure, quand elle contemple le ciel et le gain des âmes.

Lors Notre-Seigneur entre en la maison de Marthe et de Marie, quand le cœur est rempli de bonnes affections et qu’il est en repos du tumulte du monde ; quand il considère toujours Dieu présent, et non seulement contemple l’amour divin, mais travaille nuit et jour pour posséder Dieu.