Le Fils de Dieu parle, disant : Il y a deux vies qui sont comparées, l’une à
Marthe, l’autre à Magdelène : celui qui les voudra imiter et suivre doit faire
premièrement une pure confession de tous ses péchés, s’excitant à une vraie
contrition et résolution de ne plus pécher à l’avenir.
La première vie que je témoigne que Marie a embrassée, conduit à la
contemplation des choses célestes, car celle-là est la meilleure part de la vie
éternelle. A celui donc qui désire tenir la vie de Marie, il lui suffit d’avoir
seulement les nécessités corporelles, savoir, des vêtements sans ostentation, le
boire et le manger avec sobriété, et non en superfluité, la chasteté sans aucune
mauvaise délectation, et qu’il garde les jeûnes selon les constitutions de
l’Église. Or, que celui qui jeûne prenne garde de n’être malade par l’excès de
quelque jeûne, et que ce jeûne ne lui fasse diminuer l’oraison ni les
prédications, ou bien qu’il n’omette quelque autre bien à raison de cela, qui
puisse profiter à soi ou à son prochain ; qu’il prenne encore prudemment garde
que le jeûne ne le rende lâche à la rigueur de la justice, ou paresseux aux
œuvres de piété, car la force de corps et d’esprit est requise pour punir les
rebelles et pour assujettir les infidèles.
Partant, tout infirme qui voudrait mieux jeûner pour l’honneur de Dieu que manger, aura égale récompense à raison
de sa bonne volonté, comme celui qui jeûne, ému de charité : semblablement celui
qui mange par obéissance, voulant plus jeûner que manger, aura la même
récompense que celui qui jeune.
En deuxième lieu, Marie ne doit se réjouir de l’honneur du monde ni de ses
prospérités, ni s’affliger des adversités, mais qu’elle se réjouisse seulement
en cela que les impies deviennent dévots, que les amateurs du monde aiment Dieu,
que les bons avancent au bien, et combattant pour le service de Dieu, deviennent
plus dévots. Qu’elle soit encore marrie de ce que les pêcheurs tombent de pis en
pis, que Dieu ne soit point aimé de sa créature et que le commandement de Dieu
soit méprisé.
En troisième lieu, Marie ne doit point être oisive, ni Marthe, mais que le
sommeil étant achevé, elle se lève et remercie Dieu de bon cœur, d’autant que,
par sa bonté et son amour, il a créé toutes choses, montrant, par sa passion et
par sa mort, l’amour qu’il portait à l’homme, amour si grand qu’il n’eut jamais
d’égal.
Que Marie rende encore grâces à Dieu pour tous ceux qui ont été sauvés, pour
tous ceux qui sont au purgatoire et pour ceux qui sont au monde, priant
humblement Dieu qu’il ne permette qu’ils soient tentés par-dessus leurs forces.
Que Marie soit aussi discrète en l’oraison et dans les louanges de Dieu, afin
que tout soit réglé, car si elle a les nécessités de la vie en la solitude, elle
doit faire les oraisons plus prolixes ; que si elle se dégoûte en priant et que
les tentations s’accroissent, elle peut travailler de ses mains à quelque
ouvrage honnête, utile pour soi ou pour les autres. Que si elle se dégoûte en
l’un et en l’autre, elle pourra lors avoir quelque occupation honnête ou écouter
des paroles d’édification avec toute honnêteté, sans aucune cajolerie, jusques à
ce que le corps et l’âme se rendent plus habiles à l’œuvre de Dieu.
Que si Marie n’a point ce qui est nécessaire pour sustenter son corps, si elle
ne travaille, lors qu’elle fasse une plus courte oraison, à raison de l’œuvre
nécessaire, et ce labeur sera perfection et accroissement d’oraison. Que si
Marie ne sait travailler ou qu’elle ne le puisse, qu’elle n’ait point honte de
mendier, mais qu’elle se réjouisse de m’imiter, moi qui suis Fils de Dieu, qui
me suis fait pauvre pour enrichie l’homme. Que si Marie est sujette à
l’obéissance, qu’elle vive selon l’obéissance de son prélat, et sa couronne lui
sera redoublée plus que si elle était en liberté.
En quatrième lieu, Marie ne doit point être avare, ni aussi Marthe, ni aussi
elle ne doit être trop prodigue, car comme Marthe donne le temporel pour l’amour
de Dieu, de même Marie doit distribuer le spirituel, car si Marie a chèrement
Dieu dans son cœur, qu’elle se donne garde de cette maxime : Il me suffit. Si je
puis aider mon âme, que m’importent les œuvres du prochain ? ou si je suis bien,
que m’importe la vie d’autrui ? O ma fille, si ceux qui pensent et disent telles
choses voyaient leur ami être déshonoré et affligé, ils y courraient jusques à
la mort, afin de l’affranchir de la tribulation. Marie en doit faire de même,
car elle doit être marrie que Dieu soit offensé, que son frère, qui est le
prochain, soit scandalisé ; ou si quelqu’un tombe en péché, que Marie, s’efforce
autant qu’elle pourra de l’en arracher, avec discrétion néanmoins ; que si, pour
cela, Marie est poursuivie, qu’elle cherche un autre lieu plus assuré, car moi,
Dieu, j’ai dit : Quand on vous poursuivra en une cité, fuyez en une autre, car
Paul en fit de même, d’autant qu’il était nécessaire pour un autre temps, c’est
pourquoi, il a été mis dehors en une corbeille par la muraille.
Afin donc que Marie soit universelle et pieuse, cinq choses lui sont nécessaires
:
1. la maison en laquelle dorment les hôtes ;
2. les vêtements pour vêtir les nus ;
3. la viande pour les malades, c’est-à-dire, paroles de consolation avec la
charité divine.
La maison du Marie est son cœur, les mauvais hôtes duquel sont tout ce qui
trouble ce cœur, savoir, ire, tristesse, cupidité, superbe et autres choses
semblables qui entrent par les cinq sens. Tous ces vices donc doivent être ou
gisants ou dormants, comme ceux qui sont en un profond repos, car comme
l’hospitalier reçoit les bons et les mauvais hôtes avec patience, de même Marie
doit tout supporter avec paix pour l’amour de Dieu, et ne consentir en la
moindre chose aux vices ni se plaire en eux, mais bien les repousser de son cœur
autant qu’elle pourra avec la grâce de Dieu. Que si elle ne les peut chasser,
qu’elle les souffre patiemment contre sa volonté, comme des hôtes, sachant pour
certains qu’ils lui profitent à de plus grandes couronnes, et non à damnation.
Marie a des vêtements pour couvrir les hôtes, savoir, l’humilité intérieure et
extérieure, et la compassion de l’esprit en l’affliction du prochain. Que si
Marie est méprisée des hommes, elle revienne soudain en son esprit, pensant
comme moi, Dieu, était content, et étant méprisé, je souffrais patiemment, et
comme étant juge, je me tus, comment je ne murmurais point quand j’étais fouetté
et couronné d’épines.
Que Marie considère aussi qu’elle ne montre point signe d’ire et d’impatience à
ceux qui la reprennent aigrement, mais qu’elle bénisse ceux qui la poursuivent,
afin que ceux qui la voient bénissent Dieu.
Que Marie imite, et Dieu lui donnera bénédiction pour la malédiction. Que Marie
se donne encore garde qu’elle ne médise ou impropère ceux qui lui sont fâcheux,
car c’est une chose damnable de médire et d’écouter les médisants et d’injurier
le prochain par impatience.
Partant, que Marie donne de bons exemples d’humilité et de patience parfaite ;
qu’elle tâche d'avertir ceux qui médisent d’autrui, et leur marque le danger
dans lequel ils se précipitent, et qu’avec charité, elle les porte à la vraie
humilité, employant à cela sa parole et son bon exemple. D’ailleurs, le vêtement
de Marie doit être la compassion, car si elle voit que son prochain pèche, elle
en doit avoir compassion, priant Dieu qu’il lui pardonne ; que si elle voit
qu’il souffre les injures, dommages, mépris, qu’elle en ait douleur avec lui ;
qu’elle l’aide par ses prières, secours, et de soin, même parmi les puissants du
siècle, car la vraie compassion ne cherche point ses intérêts, mais bien ceux de
son prochain. Que si Marie est telle que les princes ne l’écoutent point et
qu’elle ne profite de rien de leur parler, qu’elle prie lors Dieu pour les
affligés, et Dieu, qui est celui qui regarde le cœur, convertira le cœur des
hommes pour la paix de l’affligé, pour l’amour de celle qui le prie, ou bien il
l’affranchira de la tribulation, ou Dieu lui donnera la patience pour la
supporter, et afin que sa couronne soit redoublée. Telle doit donc être la robe
d’humilité au cœur de Marie, car il n’y a rien qui attire tant Dieu dans le cœur
que l’humilité et la compassion du prochain.
3. Que Marie ait du pain et du vin pour les hôtes, car dans le cœur de Marie
sont logés de grands hôtes, savoir : quand le cœur est ravi au dehors et appète
des choses délectables, avoir les choses terrestres, posséder les temporelles ;
quand l’oreille désire ouïr ses propres louanges ; quand la chair désire ses
appétits charnels ; quand l’esprit s’excuse sur sa fragilité et diminue ses
fautes ; quand le dégoût des choses bonnes la saisit ; l’oubli du futur ; quand
elle a grande estime de ses bonnes œuvres ; quand elle croit que ses maux soient
petits, ou qu’elle les oublie. Contre tels hôtes, elle a besoin de conseil et de
ne point dormir en dissimulant. Que Marie donc, animée par la foi, se lève
fortement, et qu’elle réponde en cette sorte à ces hôtes : Moi, je ne veux rien
posséder du temporel, mais je me contente de ma petite nourriture ; je n’en veux
point ; je veux employer jusques au moindre moment du temps à l’honneur de Dieu
; je ne veux point occuper mon esprit à ce qui est beau ou laid, utile ou
inutile à la chair, ce qui est à goût ou à dégoût, si ce n’est autant que cela
plaît à Dieu et touche à l’utilité de l’âme. Certes, je ne me saurais plaire à
vivre un seul moment que pour l’honneur de Dieu : une telle volonté est la
viande des hôtes, et une telle réponse éteint les délectations déréglées.
4. Que Marie ait du feu pour chauffer les hôtes et pour les éclairer. Ce feu est
l’amour du Saint-Esprit, car il est impossible que quelqu’un puisse entièrement
renoncer à ses propres volontés, ou aux affections charnelles de ses parents, ou
à l’amour des richesses, sans l’inspiration et le mouvement du Saint-Esprit ; ni
même Marie, bien qu’elle soit parfaite, ne peut commencer ni continuer la vie
bienheureuse sans la dilection et l’inspiration du Saint-Esprit.
Afin donc que Marie reluise aux hôtes qui arriveront, qu’elle pense à ceci :
Dieu m’a créée afin que je l’honorasse sur toutes choses, et qu’en l’honorant,
je l’aimasse avec crainte. Il est aussi né de la Vierge, afin de m’enseigner la
voie du ciel, laquelle je devais suivre, en l’imitant avec humilité. Par sa
mort, il a ouvert le ciel, afin que je soupirasse là en y allant. Que Marie
examine encore toutes ses œuvres, pensées et affections, savoir, comment elle a
offensé Dieu, combien patiemment Dieu supporte les hommes, et en combien de
manières Dieu appelle l’homme à soi.
Telles ou semblables pensées sont les hôtes de Marie, qui sont quasi en
ténèbres, s’ils ne sont illuminés par les feux du Saint-Esprit. Ces feux
viennent lors au cœur, quand Marie considère qu’il est raisonnable de servir
Dieu, quand elle voudrait plutôt souffrir toute autre peine que provoquer à
dessein Dieu à la colère, par la bonté duquel l’âme est créée et rachetée de son
précieux sang. Lors aussi le cœur reçoit la lumière de ce bon feu, quand l’âme
considère et discerne pour quelle intention l’hôte vient, c’est-à-dire, une
chacune des pensées, quand elle examine si sa pensée tend à la joie éternelle ou
à la joie passagère, si elle n’admet aucune pensée sans l’avoir reconnue, et
nulle sans punition.
Afin donc qu’on obtienne ce feu, et que, l’ayant obtenu, il soit conservé, il
est besoin que Marie y porte du bois sec pour le nourrir, c’est-à-dire, elle
doit prendre garde aux mouvements de la chair, afin que la chair ne se rende
insolente et qu’elle apporte toute sorte de diligence, afin que les œuvres de
piété et les oraisons dévotes s’augmentent, esquelles le Saint-Esprit se plaît
et se délecte. Mais il faut prendre garde et considérer que là où le feu est
allumé en un vase bouché sans issue, soudain il s’éteint et le vase se refroidit
: de même en est-il quand il est expédient à Marie, si elle ne veut vivre pour
autre chose, si ce n’est pour l’honneur de Dieu, d’ouvrir la bouche, et que la
flamme de l’amour en sorte. Or, on ouvre lors la bouche, quand, en parlant,
poussé par l’amour divin, on engendre des enfants d’amour à Dieu. Mais que Marie
prenne diligemment garde que là elle ouvre la bouche de sa prédication, où les
bons deviennent fervents et où les mauvais se rendent bons, où la justice peut
être augmentée et où les coutumes dépravées peuvent être abolies, car Paul, mon
apôtre, voulant parler quelquefois, mon Esprit le lui défendit, qui le fit
parler et se taire à propos, qui lit fit user de paroles douces et rudes, qui
proféra toutes ses paroles pour la gloire de Dieu et pour l’affermissement de la
foi.
Que Marie, si elle ne peut prêcher, en ayant néanmoins la volonté et la science,
fasse comme le renard, qui, voyant plusieurs montagnes, fait sa tanière là où il
trouve le plus de repos : de même que Marie prenne garde à ses paroles, à ses
exemples et aux oraisons du cœur de plusieurs, et quand elle trouve des cœurs
disposés à recevoir la parole divine, qu’elle demeure là, persuadant et
conseillant tout ce qu’elle pourra.
Que Marie travaille aussi afin qu’une issue convenable soit donnée à sa flamme,
car plus grande est la flamme, plus plusieurs en sont illuminés et enflammés.
Or, lors l’issue est convenable, quand Marie ne craint point le blâme ni ne
cherche sa propre louange, quand elle ne craint point l’adversité ni ne
s’attache point à la prospérité ; et lors elle est plus acceptable à Dieu, quand
Marie fait plutôt les bonnes œuvres en public qu’en particulier, de sorte que
ceux qui les voient glorifient Dieu.
Nous devons savoir qu’il faut que Marie envoie deux flammes, une en public,
l’autre en cachette, c’est-à-dire, elle doit avoir deux sortes d’humilité :
l’une intérieure, dans le cœur, l’autre extérieure.
La première consiste à ce que Marie s’estime indigne et inutile à tout bien, et
qu’elle ne se préfère à pas un, ni ne veuille être louée ; qu’elle ne désire
être vue et qu’elle fuie l’arrogance, désirant et aimant Dieu sur toutes choses
et imitant toutes choses. Or, si Marie jette telles flammes, signes de bonnes
œuvres, lors son cœur sera illuminé, et elle surmontera toutes les adversités et
les supportera facilement.
En deuxième lieu, que sa flamme soit en public, car si elle a la vraie humilité
dans le cœur, elle doit paraître dans le vêtement, être ouïe en la bouche et
être accomplie en l’œuvre. Or, c’est lorsque la vraie humilité est dans les
habits que Marie choisit la robe de moindre valeur, de laquelle elle reçoit plus
d’utilité et de service que d’une autre qui a plus d’éclat, de superbe et
d’ostentation, car la robe qui est de peu de valeur est appelée vile et abjecte
devant les hommes, et belle devant Dieu, d’autant qu’elle aide à l’humilité ;
mais la robe qui est de grand prix est appelée belle devant les hommes et vile
devant Dieu, d’autant qu’elle ôte la beauté des anges, qui est l’humilité. Que
si Marie est obligée d’avoir une meilleure robe pour quelque chose raisonnable
contre sa volonté, qu’elle ne se trouble pas pour cela, car de là ses
récompenses s’augmentent. D’ailleurs, Marie doit avoir l’humilité en la bouche,
savoir, parlant humblement et de choses humbles, évitant les cajoleries, se
gardant de trop parler, ne subtilisant ses paroles, ne les préférant aux autres.
Que si Marie oyait se louer pour quelque bonne œuvre, qu’elle ne s’élève point,
mais qu’elle dise : Louange soit à Dieu, qui a donné toutes choses ! car que
suis-je autre chose que poudre devant la face du vent ? Ou bien : Quel bien
peut-on attendre de moi, qui suis une terre sèche et sans eau ? Que si elle est
blâmée, qu’elle ne s’afflige point, mais qu’elle dise : Je suis digne de cela,
car j’ai tant de fois péché contre Dieu et n’en ai point fait pénitence, que je
mérite de plus grandes afflictions ; partant, priez pour moi, afin que, tolérant
les opprobres temporels, j’évite les éternels.
Que si Marie est provoquée à colère par la méchanceté du prochain, elle se garde
de dire des paroles d’indiscrétion, car la colère est souvent accompagnée de la
superbe : partant, le conseil veut que, la colère la pressant, elle contienne sa
langue jusques à ce qu’elle puisse demander à Dieu la grâce de pâtir, et de
délibérer avec paix sur ce qu’elle doit répondre et comment, afin qu’elle puisse
se surmonter elle-même, car lors la colère est adoucie dans son cœur, et lors
l’homme répond sagement aux fous.
Sachez aussi que le diable envie grandement Marie : que s’il ne la peut empêcher
par l’infraction des commandements de Dieu, lors il l’excite à la colère, ou à
s’épandre et dilater en vaine joie, ou aux paroles dissolues et provoquant le
rire : partant, que Marie demande toujours à Dieu le secours ; que toutes ses
paroles et ses œuvres soient gouvernées par lui et dirigées vers lui.
D’ailleurs, que Marie ait l’humilité en ses œuvres, afin qu’elle ne fasse rien
pour la louange mondaine, qu’elle n’entreprenne rien de nouveau, que l’humilité
ne lui soit point honteuse, qu’elle fuie la singularité, qu’elle défère à tous,
qu’elle se répute indigne de tous. D’ailleurs, que Marie élise plutôt d’être
avec les pauvres qu’avec les riches, d’obéir plutôt que de commander, de se
taire que de parler, d’être plutôt solitaire que d’être avec les grands, et de
converser avec ses parents. Que Marie ait aussi en haine se propre volonté ;
qu’elle médite toujours sa mort ; qu’elle ne soit point curieuse murmurante ni
oublieuse de la justice de Dieu et de ses affections. Que Marie se confesse
souvent aussi ; qu’elle prenne garde à ses tentations, ne désirant vivre pour
autre chose que pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes.
Marie donc, étant telle que nous avons dit, pourra être élue en Marthe ; et
étant obéissante par l’esprit d’amour, qu’elle entreprenne le gouvernement des
âmes de plusieurs, car elle aura une double couronne, comme je vous le montrerai
par une similitude.
Il y avait un seigneur qui était grandement puissant, qui avait un navire chargé
de marchandises précieuses. Il dit à ses domestiques : Allez à un tel port ; là
je dois gagner beaucoup et recevoir quasi un fruit inestimable. Si les vents
s’élèvent, travaillez généreusement, et ne perdez point courage ; gardez-vous de
la lâcheté, car votre récompense sera grande.
Or, les serviteurs cinglant en la mer, les vents les assaillirent, les orages
s’élevèrent, les flots s’enflèrent, et le navire fut brisé en plusieurs lieux.
Lors le pilote eut grande peur, et tous désespéraient de leur vie. Ils
résolurent d’aborder à un autre port, où les vagues les portaient, et non à
celui où le maître leur avait recommandé d’aller ; ce qu’oyant, un des plus
fidèles serviteurs, étant marri de cette résolution, prit courageusement le
gouvernail, et de ses forces pourra le navire au port que son maître désirait.
On doit donc donner à ce domestique une plus grande récompense.
De même en est-il d’un bon prélat qui, pour l’amour de Dieu et pour le salut des
âmes, a reçu le gouvernement des âmes, ne se souciant de l’honneur. Or, celui-là
aura une double récompense : la première, d’autant qu’il sera participant de
tous les biens de ceux qu’il a conduits au port de salut ; la deuxième, parce
que sa gloire augmentera sans fin. Le contraire sera de ceux qui briguent les
charges, honneurs et dignités : ils seront participants de toutes les peines et
de tous les péchés de ceux dont ils ont entrepris le gouvernement. En deuxième
lieu, leur confusion sera sans fin, car les prélats qui ambitionnent les
honneurs, sont plus semblables aux prostituées qu’aux prélats, d’autant qu’ils
déçoivent les âmes par leurs mauvais exemples et par leurs paroles, et sont
indignes du nom de Marie ou de Marthe, s’ils n’en font pénitence.
5. Marie doit donner des médecines à ses hôtes, c’est-à-dire, les réjouir par de
bonnes paroles, car en tout ce qui lui peut arriver de triste ou de joyeux, elle
doit dire : Je veux tout ce que Dieu veut que je veuille, et je suis prête à
obéir à ses volontés, quand même j’irais en enfer. Une telle volonté est la
médecine du cœur, et cette volonté est la délectation ès tribulations et le
tempérament ès prospérités. Mais d’autant que Marie a plusieurs ennemis, c’est
pourquoi elle se doit confesser souvent, car tandis qu’elle demeure sciemment en
péché, ayant temps de se confesse, le néglige ou ne le considère, lors elle doit
être plutôt appelée apostate devant Dieu que Marie. D’ailleurs, sachez, quant
aux actions de Marthe, que, bien que la part de Marie soit la meilleure, la part
de Marthe n’est pas mauvaise, mais louable et agréable à Dieu ; c’est pourquoi
je vous dirai maintenant comment elle doit être formée.
Elle doit avoir, aussi bien que Marie, cinq sortes de biens :
1. une foi droite en l’Église de Dieu ; savoir,
2. les commandements de Dieu et les conseils de la vérité évangélique, et elle
doit les accomplir par amour et par œuvre ;
3. elle doit retenir sa langue de toute mauvaise parole, et doit contenir
l’esprit des cupidités insatiables et des plaisirs déréglés, se savoir contenter
de ce qu’on lui donne, sans vouloir le superflu;
4. accomplir avec raison et humilité les œuvres de miséricorde, afin que,
s’appuyant en ses œuvres, elle n’offense Dieu ;
5. aimer Dieu sur toutes choses et plus que soi-même.
C’est de la sorte que Marthe se comporta, car elle se donna à moi fort
joyeusement, suivant mes paroles et mes œuvres ; et puis, elle donna tous ses
biens pour l’amour de moi, et elle se dégoûta des choses temporelles et
recherchait les célestes ; c’est pourquoi elle souffrait toutes choses
patiemment, et avait autant de soin des autres que de soi-même ; elle
considérait incessamment l’amour que je lui avais porté et les douleurs que
j’avais souffertes, et se réjouissait en ses prières, et comme une mère, elle
aimait tout le monde. Marthe me suivait aussi tous les jours, ne désirant
qu’ouïr la parole de vie ; elle compatissait avec les affligés ; elle consolait
les infirmes ; elle ne disait mal de personne, mais elle semblait ne voir les
méchancetés du prochain ; n’y pouvant remédier, elle priait Dieu pour leur
conversion. Celui donc qui désire avoir la charité en la vie active, doit suivre
Marthe, aimant le prochain pour obtenir le ciel, mais non pas en entretenant ses
vices, fuyant la louange propre, toute superbe, duplicité, ire, envie.
Mais remarquez que Marthe, priant pour le Lazare, son frère mort, vint la
première à moi ; mais soudain son frère ne ressuscita pas. Mais Marie vint
après, étant appelée, et lors, pour l’amour de toutes les deux, le Lazare
ressuscita. De même en est-il dans la vie spirituelle, car celle qui désire être
parfaitement à Marie, doit être premièrement Marthe, travaillant corporellement
pour l’amour de moi, et elle doit plutôt savoir résister aux désirs charnels et
aller au-devant des tentations du diable, que monter franchement au degré de
Marie, car celle qui est éprouvée et tentée et qui n’a pas vaincu les mouvements
charnels, comment pourra-t-elle s’unir continuellement ès choses célestes ? car
souvent une bonne œuvre se fait avec un intention indiscrète et d’un esprit
indéterminé ; et partant, en son progrès, elle est avec lâcheté et froideur ;
mais afin que la bonne œuvre me soit agréable, elle ressuscité et revit par
Marthe, c’est-à-dire, quand le prochain est sincèrement aimé et désiré sur
toutes choses ; et lors toute bonne œuvre est agréable à Dieu ; c’est pourquoi
je dis en mon Evangile que Marie avait choisi la meilleure part, car la part de
Marthe est lors bonne, quand elle est dolente des péchés du prochain, et lors la
part de Marthe est meilleure, quand elle travaille, afin que les hommes vivent
sagement et honnêtement, et lorsqu’elle fait cela pour la seule dilection et
amour divin ; mais la part de Marie est meilleure, quand elle contemple le ciel
et le gain des âmes.
Lors Notre-Seigneur entre en la maison de Marthe et de Marie, quand le cœur est
rempli de bonnes affections et qu’il est en repos du tumulte du monde ; quand il
considère toujours Dieu présent, et non seulement contemple l’amour divin, mais
travaille nuit et jour pour posséder Dieu.
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