Notre-Seigneur parlait à son épouse, disant : Au peuple d’Israël, il y avait
trois sortes d’hommes. Quelques-uns d’entre eux aimaient Dieu et Moïse; les
autres s’aimaient plus qu’ils n’aimaient Dieu; les autres n’aimaient ni Dieu ni
Moïse, mais seulement les choses de la terre. Et comme ce peuple était en
Égypte, ils étaient tous appelés enfants de Dieu et enfants d’Israël, mais tous
ne servaient pas Dieu avec un esprit et une affection égale. Ainsi, quand il
plut à Dieu de tirer hors de l’Égypte ce peuple, quelques-uns crurent à Dieu et
à Moïse; les autres imitaient Dieu et Moïse : c’est pourquoi Dieu montra sa
grande miséricorde et justice aux endurcis.
Mais vous pourrez me demander : Pourquoi Dieu mit-il ce peuple hors de
servitude? pourquoi ne l’affligea-t-il plutôt en Égypte, sachant qu’il n’était
pas encore temps de leur faire miséricorde, et que leur malice n’était pas
encore accomplie et montée jusqu’à son dernier point?
A cela je réponds moi-même : Dieu élut le peuple d’Israël comme des écoliers,
pour l’instruire et l’éprouver dans le désert, écoliers qui avaient besoin d’un
pédagogue qui allât devant eux et leur montrât le chemin de parole et de fait.
Afin donc qu’ils fussent plus parfaitement instruits, le désert leur était plus
propre que l’Égypte, de peur qu’en celle-ci ils ne fussent trop inquiétés par
les Égyptiens en la discipline de la justice de Dieu, ou de peur que, parmi les
signes de la miséricorde qu’il faut cacher aux chiens, ils ne s’élevassent
présomptueusement et malicieusement. Moïse aussi, comme maître de tout ce
peuple, eut besoin d’être éprouvé, afin qu’ayant été connu de Dieu, il fût aussi
connu de ses disciples pour l’imiter, comme celui qui avait donné de plus
grandes preuves de foi par la folie du peuple, et qui avait été rendu plus
remarquable et plus connu de tous par ses signes. Je dis avec vérité que, même
sans Moïse, le peuple eût été tiré de l’Égypte, et que, sans Moïse, ce même
peuple fût mort.
Mais à cause de sa bonté, le peuple ne fut pas affligé d’une mort si
universelle, et pour sa charité, il fut couronné plus glorieusement, ce qui
n’est pas de merveille, car en la mort d’un chacun, Moïse pâtit et endura par
compassion. Dieu donc différa sa promesse, pour que le peuple fût éprouvé et que
sa divine majesté se fit connaître par divers signes, par sa miséricorde et sa
patience, comme aussi afin que la perverse volonté et l’ingratitude du peuple se
donnassent à connaître pour précaution à l’avenir.
Ainsi plusieurs saints, suivant l’inspiration du Saint-Esprit, sont entrés dans
les terres des infidèles, qui n’ont pas obtenu ce qu’ils voulaient; et
toutefois, à cause de leur bonne volonté, ils ont eu de très-glorieuses
couronnes, et à cause de leur patience, Dieu a fait avancer le temps de la
miséricorde, et a d’autant plus conduit à fin le nouveau chemin qu’ils
essayaient de faire.
De là vous voyez qu’il faut toujours révérer et craindre les jugements de Dieu,
et se donner bien de garde que la volonté de l’homme ne soit contraire à la
volonté de Dieu. Mais ce roi dont je vous parle et que vous connaissez n’était
pas porté d’une volonté pareille à celle de Moïse, d’autant qu’il ne se souciait
pas que tout son peuple mourût, pourvu qu’il se sauvât et demeurât toujours en
honneur, se laissant gouverner par des conseils diaboliques. Il ne voulut jamais
quitter son obstination et l’inconstance de son esprit, ni obéir au conseil de
ceux à qui il devait obéir, desquels il pouvait avoir le lait de la sagesse
divine et du changement de vie, ce qui n’est pas de merveille, car il était
descendu d’un homme irritant Dieu à tout propos et ne se corrigeant que par les
afflictions.
Sachez aussi qu’il y a eu en ce royaume quatre sortes de générations de rois :
en la première ont été l’ambition et la cruauté, lesquelles Dieu a endurées pour
quelques bonnes œuvres et pour les péchés du peuple. En la deuxième ont été
l’incontinence et l’injustice, que Dieu a miséricordieusement humiliées et
appelées sur la couronne. La troisième génération a procédé d’une racine
ambitieuse et d’un trône dur, en laquelle étaient la cupidité et l’amour de
soi-même : c’est pourquoi Dieu l’a punie temporellement, afin qu’à l’avenir elle
ne fût pas si mal.
En la quatrième sont l’humilité feinte et simulée, la
prodigalité et le défaut de justice : c’est pourquoi, par charité, je lui
montrerai la miséricorde et le jugement, et si elle ne m’oit, je l’affligerai et
la flagellerai depuis la tête jusques aux pieds, en telle sorte que tous ceux
qui l’ouïront s’en émerveilleront et trembleront de peur de la justice de Dieu.
Or, qu’il ne se confie point en ce que je l’ai dit mon ami, mais qu’il prenne
garde à la conclusion de mes paroles, savoir, que, s’il me garde sa foi, je lui
tiendrai aussi ma promesse.
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