Le Fils de Dieu parle : Souviens-toi que je t’ai envoyé au maître que j’ai
nommé, sujet pour faire un évêque, et que, pour quatre raisons, on pouvait
demander qu’il le fût, et toutefois il ne l’a pas été, parce que les jugements
de Dieu sont disposés autrement que ceux des hommes, et parce qu’il a voulu
posséder Dieu sans supporter aucun mépris du monde.
Je te parle maintenant d’un autre que j’appelle bois ou matière à faire un
évêque, et que je chéris fort, le corps duquel je conforterai et sauverai des
pièges du diable. Sa conscience ne sera jamais obscurcie par les piperies de
Satan; son âme me sera offerte par ma Mère; auquel aussi je demande trois choses
: 1° qu’il marche avec prudence et ne s’avance au-delà de ce qu’il doit; 2°
qu’il franchisse les murailles et les fossés, pour me présenter ce que j’aime le
plus, savoir, les âmes; 3° qu’il ne mette son pied gauche devant son pied droit,
et qu’il ne lève jamais un pied qu’il n’ait auparavant bien affermi l’autre.
Que signifient ces paroles : Qu’il marche avec prudence, sinon qu’il doit être
prudent et bien avisé en ses tentations, ne faisant pas trop d’abstinence, de
peur qu’il n’en demeure par trop faible et débile, ne flattant aussi son corps
plus qu’il ne faut, de peur que la chair ne se rende insolente et revêche à
l’esprit? Par les murs et fossés qu’il doit franchir sont entendus tous les
obstacles, contrariétés et répugnances qui peuvent empêcher ou relâcher celui
qui m’aime de gagner les âmes. Or, ces obstacles sont la crainte des grands, les
faveurs qu’on départ aux flatteurs, les menaces des méchants la honte et dommage
du monde, l’amitié de nos amis charnels, notre repos et intérêt particulier quel
qu’il soit. Celui qui m’aimera passera au-dessus de tous ces empêchements, porté
par la confiance en Dieu, par la fermeté de la foi, par la douceur et le désir
de la vie céleste. Les fossés sont les tentations de la chair, les suggestions
des esprits immondes, la lâcheté des âmes, la joie et tristesse immodérées,
l’endurcissement au mal, la froideur ou tiédeur au bien.
Que mon évêque surmonte toutes ces difficultés par la consolation des Écritures
saintes, par les exemples et vies des saints, par la méditation des miséricordes
que Dieu lui a faites, par la contrition de ses péchés, par la fréquentation des
sacrements, par la considération des jugements de Dieu, par l’appréhension de la
mort, d’autant plus épouvantable que l’heure en est incertaine.
Si l’évêque franchit ces murs et ces fossés, il pourra m’acquérir un grand et
précieux trésor, savoir, les âmes. Je serai toujours avec lui en son cœur et en
sa bouche, et conserverai son corps et son âme des embûches des méchants. Le
diable ne laissera pourtant de lui livrer plusieurs assauts, de tous lesquels je
le préserverai. Ses deux pieds sont deux désirs de plaire, l’un à Dieu, pour
obtenir la vie éternelle, l’autre aux hommes, pour s’acheminer à Dieu.
Que l’évêque étende donc son pied gauche, c’est-à-dire, qu’il plaise aux hommes
par ses salutaires admonitions, par sa sainte conversation, par une paternelle
compassion des dévoyés, de sorte qu’il ne se fourvoie des commandements de Dieu,
ou ne lui déplaise tant soit peu. Qu’il étende son pied droit, je veux dire
qu’il exerce sa miséricorde sans oublier la justice, parce qu’il est plus
glorieux de rendre compte devant Dieu d’une miséricorde modérée que d’une équité
surabondante. Ces paroles : Que l’évêque ne lève pas un pied qu’il n’ait
auparavant affermit l’autre, signifient qu’il ne doit exercer son zèle et
affection envers les délinquants, qu’au préalable il ne soit bien et dûment
informé de la vérité, car il ne se doit pas croire plus saint que David, qui
toutefois a manqué à rendre justice, quoiqu’ayant connu la vérité, et s’est
corrigé, suivant le conseil de la Sapience éternelle.
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