La Sapience éternelle, le Fils de Dieu, parle : Que celui-là lise les écritures,
et il trouvera que j’ai fait d’un pasteur un grand prophète, et que j’ai rempli
de l’esprit de prophétie les jeunes et les idiots. Mais bien que tous n’aient
pas mes paroles de salut, néanmoins, afin que ma charité fût plus connue, mes
paroles sont parvenues à plusieurs : semblablement, pour prêcher l’Evangile, je
n’ai pas choisi des docteurs, mais des pêcheurs, afin qu’ils ne se glorifiasses
de leur sagesse, et afin que tous entendent que, comme Dieu est en soi admirable
et au-delà de nos pensées, de même ses œuvres sont inscrutables, et il opère de
grades choses dans les choses les plus petites. Que tout homme donc qui va par
le monde pour acquérir da propre volonté, pose sur ses épaules un faix dur et
pesant.
Voici un exemple d’un certain homme qui allait par le monde avec de grands
désirs de s’agrandir. Il acquit une grande renommée, et en même temps il mit sur
son dos un grand et pesant fardeau de péchés ; c’est pourquoi il a aussi
maintenant un grand nom dans l’enfer, un faix lourd et accablant pour sa
récompense, et un lieu fort excellent pour son supplice, car en ce lieu,
quelques-uns étaient descendus avant lui, et quelques uns avec lui, et quelques
autres après lui. Or, ceux-là y sont descendus devant lui, qui l’avaient affermi
en la malice et en l’augmentation d’icelle par leur secours et par leurs
conseils. Ceux qui descendirent avec lui furent les complices de ses œuvres
misérables, mais ceux-là descendirent après lui, qui avaient suivi ses
mortifères exemples.
C’est pourquoi les premiers crient à lui comme de combat, et lui disent : Parce
que vous avez obéi et consenti à nos conseils, nous brûlons de votre présence
avec plus d’ardeur. Partant, maudit soyez-vous, vous qui êtes digne de ce
supplice et de ce gibet, où les cordes ne se rompent jamais, mais où le feu
dévorant afflige éternellement ! Que la confusion la plus honteuse vous soit au
front, en récompense de votre superbe ambition!
Or, ses œuvres crient et disent d’un accent de désespoir : O misérables que vous êtes ! la terre ne vous a pas
pu repaître de ses fruits, c’est pourquoi vous avez insatiablement désiré toutes
choses. L’or ni l’argent n’ont pu satisfaire vos misérables désirs, c ‘est aussi
pour cela que vous êtes vide et privé de toutes choses, et que les corbeaux
vivants et insatiables déchireront éternellement votre âme, qui, étant toujours
déchirée, pourtant ne diminuera pas, étant fondue, ne mourra pas, mais vivra
d’une vie animée de tourments. Ceux qui sont descendus après lui en ces
fondrières effroyables, crient d’une triste accent : Malheur à toi que tu sois
né ! Ta volupté s’est convertie en haine de Dieu, en sorte que vous ne voudriez
pas dire une parole pour l’honorer.
Partant, comme en l’amour et en l’honneur de Dieu est toute sorte de
consolation, de délectation, de bien et de joie ineffable, dont nous sommes
indignes pour vous avoir imité, que de même vous avez éternellement une
tristesse et une dissension immortelle avec la compagnie des démons, difformité
pour l’honneur, ardeur pour la volupté, froid pour l’amour et nul repos pour les
satisfactions charnelles. Et d’ailleurs, pour la grande renommée que vous avez
eue indignement, il vous soit malédiction ; pour siège glorieux, un lieu méprisé
de tous. Voici que parlant par similitude, méritent telles choses ceux-là qui
s’intriguent et s’enveloppent de ces affaires contre les volontés divines.
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Un certain soldat s’étudiait incessamment à trouver diverses manières de vanité,
et il entraîna plusieurs à la damnation éternelle par ses paroles et par ses
maudits exemples. Celui-ci portait une grande envie à sainte Brigitte des
paroles fort contumélieuses. Cette sainte étant assise à table, il vint à elle
et lui dit, en présence des plus grands : Madame, vous songez trop , vous
veillez trop. Il vous est expédient que vous mangiez, buviez et dormiez
davantage. Mais quoi ! Dieu n’a-t-il pas laissé les religieux ? et il parle avec
les superbes du monde ! C’est vanité de croire à vos paroles.
Or, ceux qui étaient là présents voulaient venger l’injure, mais sainte Brigitte
le défendait disant :
Permettez-lui de parler, car Dieu l’a envoyé ; car moi qui en tout le cours de
ma vie , ai cherché ma propre louange, j’ai blasphémé Dieu : pourquoi n’oirai-je
pas ma justice ? Certes, celui-ci dit la vérité.
Ce que ce soldat oyant, il s’en repentit, se réconcilia avec sainte Brigitte,
vint à Rome et y mourut d’une fin louable.
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